dimanche 3 septembre 2006

Carnets de route : Inde # 2


Apres Roopangarh (minuscule village au nord de Pushkar où nous avons été accueillis comme à l'habitude par 50 gosses qui vous suivent et vous tiennent la main, les vieux du village qui veulent se faire prendre en photo, etc.. un grand classique.. dur la vie de star... :-) ), nous voilà à Jaisalmer.
J'ai passé mes 16h de voyage en train jusqu'ici comme prévu, c'est à dire sur la banquette en metal... pas de bakshish pour la 1ere classe... On a tué le temps comme des gosses avec un militaire indien sympa à qui Carlos faisait faire des rankings: ses 10 villes favorites, ses 10 plages favorites, etc.. Ca entrenait une conversation fournie.. des vrais gamins! :-)

On commence doucement à s'immerger dans la culture indienne et on comprend un peu mieux ce chaos et son equilibre... L'equilibre c'est purement et simplement la religion (faut jamais chercher bien loin): Les Indiens sont très Hindus ! Impossible de comprendre leur culture si vous ne comprenez pas leur religion.
J'ai l'impression qu'ils sont extrèmement respectueux des convictions des autres, mais en ce qui les concerne, pas question de déroger aux règles religieuses puisqu'elles font partie d'eux-mêmes. C'est ancré et bien ancré dans leur vie quotidienne.

Un des éléments fondateurs de leur religion, c'est leur système hierarchique et méticuleusement bien organisé de castes... Si l'Hindu se comporte bien et suit scrupuleusement ses rites religieux, il aura un bon "dharma" (son casier judiciaire religieux ;-)) et accèdera a une caste supérieure dans sa prochaine vie.. (voila comment, comme dans toute religion, on maintient l'espoir...)
Les castes au debut on ne les percoit pas, mais quand on parle davantage avec les Indiens, on se rend de plus en plus compte de leur importance fondamentale.
Entre eux pas question de se mélanger; chaque personne se marie avec un(e) descendant(e) de sa propre caste. Chaque caste a ses propres rites (par ex la caste supérieure ne mangera pas de nourriture impure (viande et légumes sortant de terre) ni de nourriture préparée par une caste inférieure)...
Puis il y a ceux qui n'appartiennent meme pas a une caste: les Dalits ou Intouchables, 100% impurs donc font 100% des jobs impurs... pour la majorite balayeurs de rues, nettoyeurs d'égouts, etc.
La femme, quelque soit sa caste d'origine, est considerée comme intouchable; ainsi certaines personnes plus religieuses refusent de me serrer la main.. ce serait trop mauvais pour leur dharma!!!
Quand on leur demande en quoi et pourquoi une personne de caste inférieure est inférieure... "parce que" .. ben oui, quelle bête question! :-)
Pas question de se rebeller contre sa condition ou ses contemporains, tout est la faute, non pas à pas de chance, mais à votre dharma et donc à vos vies anterieures.. qu'est ce que c'est bien pensé tout ca!

Autre signe pleinement visible de leur religion: les vaches sacrees.. Les vaches sont le symbole de la mère universelle; pas question donc de les manger ni de les perturber.. il y en a toujours 3 ou 4 par rue qui se baladent nonchalantes dans le flot de la circulation.. Si elles décident de se mettre en travers la route... et bien on ne passe plus...

La circulation ici c'est un enfer permanent; s'ils ont au moins des routes, ils n'ont pas pris la peine d'y marquer les bandes de circulation. Chacun (voitures, rickshaw, vélos, motos, charrues) roule ou il veut (ou ou il peut). En tant que piéton, il faut regarder partout autour (ca klaxonne et arrive de tous les côtés) et par terre (une bouse de vaches tous les metres environ..). Je vous promets, ca demande gymnastique et concentration!

Comme je disais plus haut, nous sommes donc maintenant a Jaisalmer, à la bordure du desert du Thar, à une petite centaine de kilomètres du Pakistan et à près de 50 degrés sous le soleil.
Jaisalmer c'est un magnifique fort qui emerge du plat desertique. A l'interieur, toutes les maisons sont faites en pierre de la couleur du sable, ce qui donne un ensemble homogene ocre, doré.. c'est litteralement splendide!!!
L'atmosphère y est très orientale dans le sens mysterieux du terme (si vous ne voyez pas je me conprends ;-)) Sur les remparts du fort on domine le desert..

Moi j'y ai trouvé mon paradis et je resterai bien ici au rythme des levers et couchers de soleil sur le Thar jusqu'à ma prochaine vie.... Mais Carlos est impatient de voir le reste de l'Inde.. Ca négocie ferme pour la date de depart! :-)
A Jaisalmer on s'est fait un pote: Raji (a prononcer.. de facon imprononcable!). On a deja passé pas mal de temps (moi, Carlos et lui, parfois juste moi et lui) à papoter dans son arrière boutique, en chuchotant pour ne pas que les autres Indiens entendent.. Raji a à peine la vingtaine et est extrêmement curieux de connaitre la culture européenne. Il pose des tonnes de questions sur les rapports hommes-femmes en Occident, des plus générales aux plus détaillées ou crues.. et nous apprend bcp sur sa vision de la culture indienne... Selon lui, le kamasutra ca fait uniquement fantasmer les Occidentaux; en Inde pas question de ca (ca pourrait nuire a votre dharma); on fait l'amour tout habillé (ou le plus habillé possible), on ne s'embrasse jamais sur la bouche. Raji n'a jamais vu aucun autre homme nu, encore moins d'autres femmes, pas plus qu'il ne verra jamais sa propre femme nue. Raji, comme l'écrasante majorite des Indiens, épousera la femme que son père lui aura choisi, de la même caste bien sur.. Quand on lui demande ce qu'il en pense: "if good luck, then wife good-looking, if no luck, then wife bad looking"... c'est d'une simplicité déconcertante!
Raji n'a jamais, de sa vie, entendu parler du Sida; dans le deuxieme pays le plus touché apres l'Afrique du Sud, la prévention a encore du chemin à faire...
Il nous explique aussi qu'en Inde la femme décide de tout à la maison (traduire "decide quand elle veut faire le menage et ce qu'elle preparera à manger").. waouw l'émancipation!.. et l'homme decide de tout le reste... (qui a dit que c'etait pas équitable? ;-)).La femme ne peut pas travailler, elle est là pour enfanter....
Raji a failli nous faire une syncope quand on lui a dit qu'en Europe on peut avoir des enfants sans se marier; il s'est tapé la main plusieurs fois sur le front en repetant "my godness!!".. Je pense qu'il s'en est toujours pas remis ;-)

Jaisalmer c'est aussi le point de départ des camels safaris dans le désert "-made-especially-for-you-my-friend". Comme tout bon touriste qui se respecte (et que nous sommes), nous sommes donc partis 3 jours à dos de dromadaires dans le désert, Carlos, moi et un guide-chamelier. Aucun regret à avoir, ca nous a permis de faire l'extraordinaire rencontre d'Arka, notre petit Arka, notre guide, chamelier, cuisinier, mais surtout notre ange gardien durant ces 3 jours...

Les ballades dans le désert ce sont la traversée de villages faits de terre sechée melangée a la bouse de vaches (je ne sais pas si cela en fait un village sacré ;-)), le croisement dans les plaines de troupeaux de centaines de moutons et chèvres, les gazelles, les cheveaux mi-sauvages, les scarabées gigantesques (les "gungies", friends of Rajasthani), .......et puis et surtout les fabuleuses et romantiques nuits à la belle étoile, dans les bras l'un de l'autre, sous la voie lactée et ses étoiles filantes (bon, comme on se lave pas dans le desert, tout devient moins romantique a mesure du temps mais on se supportait toujours Carlos et moi :-))

Arka, notre guide et ange gardien, a 15 ans selon son pere, lui-même pretend en avoir tout juste 18. Il a dû arreter l'ecole à l'age de 10 ans pour travailler comme chamelier (on a beau s'offusquer de Nike qui emploie des enfants.. c'est une infime partie de la partie visible de l'Iceberg, 1 enfant sur 10 travaille en Inde, pays vraisemblablement signatairre hypocrite des droits de l'enfant).
Si on s'arrete à ca, on crierait au scandale, mais la réalite est plus complexe...
Si vous demandez a Arka s'il regrette de ne plus aller a l'ecole, il vous repondra surpris "no work, no food".
Ni sa mere, ni sa soeur ne travaille. Sa soeur devra être mariée et on devra donc lui constituer une "dote", son pere ne peut plus travailler, il ne voit plus bien (embêtant pour trouver sa route dans le desert) et est cassé par des annees de travail. Son grand frère est mort il y a un mois à l'age de 20 ans de "something bad inside the head" (une tumeur?) en laissant une femme (qui selon les règles de sa caste n'aura pas le droit de se remarier) et un bébé craquant de 8 mois dont Arka aura desormais la charge. Si on compte, ca fait 5 personnes sur ses epaules de gamin de 15 ou même 18 ans.
Arka se fait exploiter dans les grandes largeurs par son boss qui le paie selon les mois entre 1000 et 2000 roupies (20-40 euros par mois), parfois rien..
Comment s'en sortir? Se faire des clients directement? impossible, il n'a ni adresse postale ni telephone. On voulait lui apprendre a utiliser internet mais il ne va jamais en ville et .. (sommes nous betes), meme s'il parle un meilleur anglais que ses copains qui vont à l'ecole, il ne sait pas écrire.
C'est pas un récit larmoyant que je vous écris, c'est la réalite d'ici.
On se sent impuissant et con. On lui a laisse une tonne de fringues, un couteau suisse qui lui servira pour son boulot, des piles, tres chères pour lui, pour sa lampe de poche, etc etc.. Qu'est ce qu'on peut faire? Une particule d'eau dans un océan.. ca semble tellement futile... On l'a quitté tout a l'heure, moi ca m'a rendu triste.. il m'a émue.

Pour le moment, c'est le Diwali (ou Dipaoli) festival, le festival des lumières (l'equivalent de notre Noël).. depuis une semaine tous les enfants font exploser des pétards et les feux d'artifice éclatent de tous les côtés (les Indiens A-DO-RENT). Arka nous a invite pour Diwali à passer la nuit chez son oncle dans un petit village a une heure de Jaisalmer. On a dormi sur le toit de la maison qui n'a ni électricite ni eau courante. On a fait éclater des pétards avec ses copains.. Arka s'est marré comme un dingue, enfin plutôt comme un gosse de son age, pour ceux qui auraient oublié que ce n'est qu'un gosse...
Voilà, on n'etait pas naifs, on savait que cela existait, on l'avait déjà rencontré, mais (heureusement) ca nous touche toujours autant...

Prenez bien soin de vous.. et comme dirait my Xitito " Don't lead the experience, let the experience lead you" ;-)
Happy Diwali!

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