jeudi 15 octobre 2020

L'Europe #6: Le trop plein

Ahmed, j’en ai marre ce soir, par où la commencer cette histoire ? Il n’y a pas de début, et je ne vois pas la fin.

Une petite semaine sans nouvelles, tu es revenu à la maison, tu m’as dit « j’ai essayé tous les jours ». Je sais Ahmed. Tout ça on n’en parlera pas, parce qu’on est juste content de se revoir. Je me suis inquiétée pour toi, mais ça tu le sais.

On se parle de ce qui s’est passé à la maison durant tes jours d’absence. Ahmed, tu as toujours le sourire, comment tu fais ?

Je te raconte que de nouvelles personnes sont arrivées parce qu’ils se sont fait jetés d’autres pays, je te raconte que ton ami est en prison, je te raconte qu’Amin est reparti en Allemagne récupérer ses dernières affaires. Je te raconte que je n’ai pas de nouvelles de ton autre ami qui a essayé aussi hier soir.

Le plus drôle, c’est qu’on finit par trouver ça drôle.

Je t’ai parlé de ton pays en feu à cause d’un dictateur fou. Ca tu le sais. Tu me racontes que ton frère est en fuite, recherché par la police parce qu’il a manifesté contre lui., c’est ton père qui est en prison à sa place jusqu’à ce qu’ils le retrouvent. Tout à coup, tu ne souris plus, moi non plus. Je comprends ce qui t’a fait fuir.

Je te tends mon téléphone, appelle ta famille. Tu ne le feras pas, je le sais. Personne ne le fait, vous avez trop honte de dire que vous êtes toujours à la rue. Moi je me mets à la place de ta maman, elle voudrait tellement savoir que tu es toujours en vie.

Je voudrais pouvoir l’appeler moi-même, qu’est ce que je pourrais lui dire, on t’accepte pas ici. On va se taire. Tu as sans doute raison.

Comment lui expliquer à ta maman qu’on n’accepte pas son enfant chéri?

Nasir, il y a quelques mois c’était toi qui était assis à côté de moi. On parlait du stress que vous avez tous. Et je ne sais même plus comment on a fini par parler du Soudan. J’étais étonnée, tu étais le premier à m’en parler. Ta capture par les passeurs. La soif en plein désert. Les litres d’essence mélangés à de l’eau qu’on t’a fait avalé pour te rendre fou et malade. Les tabassages. La rançon, l’argent que tu n’avais plus. Tes coups de téléphone à ta famille pour les supplier de te le donner pour être libéré.

Tu me souris, tu me fais écouter une chanson, tu me fais un thé, et tout sera oublié.  

Malii, il y a 2 ans quand tu étais encore à la maison, elle m’avait intrigué ton énorme cicatrice sur le pied. On n’en a pas parlé jusqu’à ce tu me dises « j’ai sauté du 3ième étage ». Comment on peut sauter du 3ième étage si c’est pas pour se suicider ? C’était pas un suicide, au contraire c’était une fuite vers la liberté.

Des mois que tu étais en prison en Libye, quand tu as sauté pour t’échapper les gardiens ont tiré, comme on tire sur des lapins. L’ami qui a sauté avec toi est mort sous tes yeux.

Malii, où as-tu trouvé la force de marcher jusqu’à moi ?

Alem, ma sœur, c’est toi qui a appelé l’ambulance il y a un peu plus d’un an, celle qui m’a sauvé la vie. T’aurais sans doute voulu en sauver plus des vies. T’aurais sans doute avoir pu retenir les personnes qui sont tombées de ton rafiot quand tu as traversé la Méditerranée.

Tu m’avais dit « elle sont mortes noyées ». Alem, si on avait pu aller au fond de la mer les rechercher, on y aurait été ensemble.

Vous êtes enfin arrivés aux portes de l’Europe. Je pourrais essayer de vous aider du mieux que je peux, je pourrais vous aimer du mieux que je peux, je pourrais essayer de vous protéger du mieux que je peux, mais on va vous détester, on va vous rejeter, on va vous insulter, on va vous maltraiter, on va vous faire avoir de faux espoirs, on va vous traquer avec des chiens comme des animaux, on va vous enfermer, on va vous expulser.

Et moi, j’ai tellement, mais tellement honte.

lundi 12 octobre 2020

L'Europe #5: Partir

Home, Warsan Shire

Personne ne quitte sa maison à moins

Que sa maison ne soit devenue la gueule d’un requin

Tu ne cours vers la frontière

Que lorsque toute la ville court également

Avec tes voisins qui courent plus vite que toi

Le garçon avec qui tu es allée à l’école

Qui t’a embrassée, éblouie, une fois derrière la vieille usine

Porte une arme plus grande que son corps

Tu pars de chez toi

Quand ta maison ne te permet plus de rester.

Tu ne quittes pas ta maison si ta maison ne te chasse pas

Du feu sous tes pieds

Du sang chaud dans ton ventre

C’est quelque chose que tu n’aurais jamais pensé faire

Jusqu’à ce que la lame ne soit

Sur ton cou

Et même alors tu portes encore l’hymne national

Dans ta voix

Quand tu déchires ton passeport dans les toilettes d’un aéroport

En sanglotant à chaque bouchée de papier

Pour bien comprendre que tu ne reviendras jamais en arrière

Il faut que tu comprennes

Que personne ne pousse ses enfants sur un bateau

A moins que l’eau ne soit plus sûre que la terre-ferme

Personne ne passe des jours et des nuits dans l’estomac d’un camion

En se nourrissant de papier-journal à moins que les kilomètres parcourus

Soient plus qu’un voyage

Personne ne rampe sous un grillage

Personne ne veut être battu

Pris en pitié

Personne ne choisit les camps de réfugiés

Ou la prison

Parce que la prison est plus sûre

Qu’une ville en feu

Personne ne vivrait ça

Personne ne le supporterait

Personne n’a la peau assez tannée

Rentrez chez vous

Les noirs Les réfugiés

Les sales immigrés

Les demandeurs d’asile

Qui sucent le sang de notre pays

Ils sentent bizarre

Sauvages

Ils ont fait n’importe quoi chez eux et maintenant

Ils veulent faire pareil ici

Comment les mots

Les sales regards

Peuvent te glisser sur le dos

Peut-être parce que leur souffle est plus doux

Qu’un membre arraché

Ou parce que ces mots sont plus tendres

Que quatorze hommes entre

Tes jambes

Ou ces insultes sont plus faciles

A digérer

Qu’un os

Que ton corps d’enfant

En miettes

Je veux rentrer chez moi

Mais ma maison est comme la gueule d’un requin

Ma maison, c’est le baril d’un pistolet

Et personne ne quitte sa maison

A moins que ta maison ne te chasse vers le rivage

A moins que ta maison ne dise

A tes jambes de courir plus vite

De laisser tes habits derrière toi

De ramper à travers le désert

De traverser les océans

Personne ne quitte sa maison jusqu’à ce que ta maison soit cette petite voix dans ton oreille

Qui te dit

Pars

Pars d’ici tout de suite

Je ne sais pas ce que je suis devenue

Mais je sais que n’importe où

Ce sera plus sûr qu’ici

Traduction : Paul Tanguy

Née 1988, Warsan Shire est une poétesse somalienne, et qui vit à Londres, où elle est arrivée à l’âge de 1 an, sa famille ayant fui la Somalie en pleine guerre civile. Elle est poète, écrivaine, éditrice et enseignante.

mercredi 7 octobre 2020

L'Europe #4: Les centres fermés, encore

Oh my love, We pray each day.. May you come home, And be okay.

For now, We'll wait.. For you.. For you.. To come home I'll send A pack of cigarettes And some chocolates Hope you get, Filled with love for you. Oh my love, I hope really soon.. To be at home And get close to you For now, We'll wait.. For some news.. For some news.. To come home My mind Is always on your side.. I see you all the time.. With love, For you.
Amatorski, Come home

On parle de Corona, c’est tout ce qui occupe tout le monde, mais pendant ce temps-là, Yahaya, tu sais ce que mon gouvernement vient d‘inventer ? Il s’est torturé les neurones, et il a enfin trouvé une nouvelle solution à la migration ! On l’attendait, on était fébrile : Encore plus de places en centres fermés, plus de places en prison pour ceux dont le seul délit est de ne pas avoir les bons papiers.

Je voudrais pouvoir t’expliquer, je voudrais pouvoir m’excuser, je voudrais te crier, « c’est le temps de repartir essayer sans te faire pourchasser », après ce sera trop tard, ils auront gagné, je voudrais te dire que je vais arriver à vous protéger, mais tout ça, ça sert à quoi ? C’est du vent.

Je lis les derniers articles sur leurs soi disant « bonnes politiques fermes mais humaines », ça fait des années qu’ils nous servent leur même soupe, et je ne sais plus si je suis en colère, triste, révoltée, prête à repartir me battre, essoufflée. 

Toi ce qui t’intéresse c’est de savoir si j’ai mis des grosses chaussettes parce qu’il fait froid dehors aujourd’hui.

Comment revenir à l’essentiel ? L’essentiel tu as raison, c’est de savoir si j’ai mis des grosses chaussettes parce que c’est me montrer que tu t’inquiètes pour moi, l’essentiel, c’est de te regarder avec un grand sourire, te remercier, et me demander comment même tu as pu y penser à ces grosses chaussettes ? 

On n’est pas un couple pourtant. Je ne pourrai jamais définir ce que tu es pour moi, comme je ne saurai jamais définir ce qui sont tes frères et sœurs. En fait si, ce sont mes frères et sœurs, comme toi tu es devenu mon frère.

Ce que ce nouvel accord veut dire pour toi, Yahaya, c’est que ta vie en Europe sera encore plus merdique qu’avant. Comme si elle ne l’était pas suffisamment.

Je voudrais pouvoir leur demander Yahaya, je voudrais savoir s’ils vont dormir tranquilles ce soir. S’ils sont satisfaits d’eux-mêmes.

Moi je regarde Jawar, 2 ans peut-être qu’il est ici, si pas plus. Qu’est-ce qu’il a vieilli. Quand il est arrivé à la maison, je lui aurais donné 18-20 ans, maintenant je lui donne la bonne trentaine, si pas plus. Je ne lui ai jamais demandé son âge à Jawar, mais je sais qu’on aura vieilli un bon moment ensemble.

Jawar chaque fois que tu es parti de la maison, que tu m’as dit, « je pars essayer », je t’ai tapé dans la main, je t’ai serré dans mes bras, et je t’ai dit « good luck, call me tomorow from London ».

J’en ai marre de cette phrase, si tu savais.

Au début j’y croyais vraiment, maintenant, je sais ce qui t’attend.

Ce qui t’attend, c’est un train à prendre sans billet, c’est un contrôleur qui a le pouvoir d’appeler la Police. C’est la Police qui a le pouvoir de te mettre en centre fermé. Ce qui t’attend si tu y arrives, c’est une, deux ou trois heures de marches jusqu’à ton parking là où sont les camions.

Une ou deux heures de marches sous la pluie ou le froid, c’est long.

Ce qui t’attend sur place, ce sont les connards de passeurs. C’est mon gouvernement qui leur a permis d’exister en verrouillant les frontières. Je ne parlerai pas des bagarres, parfois au couteau, entre communautés pour prendre le seul camion qui peut-être part vers l’UK.

Il va falloir vous cacher aux abords de l’autoroute. Il y aura la sécurité ou la police avec des chiens qui vous traqueront comme des animaux. Il y aura ceux qui s’échappent en se blessant, et qu’on soignera demain à l’hôpital. Il y aura cette nuit où si tu es chanceux, tu te cacheras dans le seul camion qui devrait partir. Fais attention à toi, un de nos frères y a déjà été tué écrasé par ses palettes.

Quand tu auras réussi à t’y cacher dans le camion, attendant toute la nuit qu’il parte vers l’UK, il y aura demain le « Good Morning ». Ce "Good morning" plein de cynisme. 

Si tu n’y réussis pas tu te cacheras dans les végétations aux abords de l’autoroute

La Police si elle est sympa, te dira « Good Morning », ou « allez dégage ». Tu descendras du camion ou tu sortiras de ta végétation, tu feras le chemin inverse, et je vous attendrai avec une boisson chaude demain matin à la maison en vous disant à tous « so sorry ». On ne se dira pas grand-chose, je la connais votre déception, et vous, vous avez tant besoin de dormir.

Ça, c’est si tu as finalement eu de la chance de ne pas te faire attraper.

Il y aura tes autres amis à qui j’ai dit « Good luck » aussi hier soir. Je leur ai dit, et puis plus rien, ils manqueront  au thé du matin. 

Au début on s’inquiète plus trop, on a l’habitude, le camion les a peut-être perdu loin, mais ils savent comment revenir. On les appelle, mais leurs téléphones sont éteints. Après on se demande pourquoi ils n’ont pas encore donné de nouvelles. Après on se dit que le temps est long, merde, va falloir que je te retrouve, comment tu t’appelles vraiment, par où commencer ? Moi j’ai pas gardé tout ce que tu aurais pu avoir comme papiers qui pouvait me donner des pistes sur ton identité en arrivant. Je vais devoir appeler tes autres familles, elles seront dans le même désarroi.

Comment tu t’appelles, surtout quel nom tu as donné à la Police ? C’est tout ce qui me fera te retrouver. Je sors mon répertoires des centres fermés en Belgique, je vais les appeler un à un. Je vais devoir te retrouver. Biniam, ça s’écrit aussi Byniam, ça s’écrit aussi Baniam selon ce que le flic qui a pris ta déposition dans une langue que tu ne comprends pas aura entendu. 

Je le saurai plus tard, on t’a appelé Namiam. Certains ont eu la chance d’avoir le temps de m’appeler du poste de flics où on les gardera 24 heures avant d’aller les enfermer, et de me dirent « we go closed center, jail ». Oui mais où ? Je les connais déjà les centres fermés, les prisons qui accepteront de me répondre, je sais ceux qui me raccrocheront au nez.  

Biniam, je sais qu’en y entrant, on t’a déjà tout enlevé, à commencer par ton téléphone qui t’aurait permis de m’appeler, ta réelle identité aussi.

Comment il va falloir que je me démerde moi ? Je les appelle les centres fermés : Bbb, bon Pp peut-être, Naa. Des éthiopiens, on les a arrêtés hier, je le sais, leurs amis nous on dit. Oui ! Ils sont arrivés ? Si la dame est gentille, elle aura eu la patience d’épeler tous les noms possibles avec moi et on t’aura retrouvé. Si pas, tu aurais été perdu à tout jamais.

Maintenant, le plus urgent pour nous les citoyens solidaires, c’est de te trouver un avocat. La plupart du temps, les centres fermés feront tout ce qu’ils veulent faire en s’en foutant pas mal du droit. Les assistants sociaux, même si certains d’entre eux sont vraiment humais, te diront, en dépit du bon sens de ne pas prendre d’avocat. Tu vas soi-disant y rester plus longtemps. N’oublie pas que leur but ultime c’est de t’expulser. Ce sont des machines à punition et expulsion.

Il va falloir que je te trouve un nouveau téléphone sans internet et caméra qui sont interdits là où tu te trouves. La grosse majorité de temps, ce seront d’autres citoyens solidaires que me le donneront. Pour toi. Parce qu’on est des centaines sans doute à penser à toi. On est des centaines à s’écœurer ou parfois ne plus même pouvoir.

Ce téléphone, il restera notre lien. 

Bien sûr, je peux venir te voir, avec des horaires de train impossibles, entre 13.30 et 14.30, en m’enregistrant la veille et arriver 30 minutes plus tôt pour qu’on me fouille. Les médicaments dont tu avais besoin et que je t’avais apporté de la maison, ils ont été confisqués.

Le plus difficile pour toi ce sera de te demander ce que tu fais dans cette prison et combien de temps tu y resteras. Le plus dur sera l’angoisse de te faire expulser.

Le plus dur pour moi, ce sera de me demander ce que tu fais dans cette prison et combien de temps tu y resteras. Le plus difficile sera d’essayer d’éviter que tu te fasses expulser.

 

samedi 3 octobre 2020

L'Europe #3: l'espoir

Nelson, mon petit cœur, mon ange, mon amour. Dans quelques années, peut-être même quelques mois, tu ne voudras plus que je t’appelle comme ça. Mais je m’en fous tu sais, je continuerai, après tout c’est mieux que mon petit poussin.

Tu m’en veux, je ne te parlerai pas de la mère complètement à la dérive que je suis, tout ça reste entre nous.

Je voudrais te parler du sujet que j’écris ici, parce que les autres je les écrirai sans doute ailleurs.

Nelson avant même que tu ne sois conçu, tu sais je suis partie. Loin. Je suis partie parce que tu sais rester ça veut dire regarder toujours les mêmes choses. Observer les mêmes choses, si on n’a pas d’autres repères, on les comprends pas forcément.

Nelson, je ne vais pas te faire de grands discours parce que ce qui m’a fait partir finalement n’appartient qu’à moi. Ce que ça m’a fait découvrir ce sont de très belles choses, des choses terribles, des choses tristes, des magnifiques rencontres, des rires, des tristesses, des joies, une autre façon de vivre.

Il a fallu m’adapter. De nombreuses fois, il a fallu que je change de stratégie, que je pense autrement. Je n’étais qu’une étrangère. J’avais tout à repenser, tout à apprendre. Et Nelson, c’était ça qui était magnifique ! Tu te rends compte, c’était comme si chaque jour tu te réveillais et le monde était à repenser, à le découvrir, tant de belles choses m’attendaient. Tu me dis toi-même pourquoi c’est toujours les mêmes scénarios ?

Ça pourrait faire peur à beaucoup de monde. Moi j’ai pas eu peur. Tu sais Nelson, si on part avec de la bienveillance les portes elles s’ouvrent. Non je ne te dis pas qu’ont vit dans un monde de bisounours, je te dis que quand on tend la main, on ne va pas forcément trouver la morsure. Je n’arrive pas à trouver les mots Nelson tant cette année elle a été intense.

Ce que je peux dire Nelson, c’est que de nombreuses fois je me suis retrouvée dans la misère, la misère de trouver un endroit où manger, un endroit où dormir, un endroit où trouver un bus. Et tu sais quoi Nelson ? Il y avait toujours une personne pour m’aider. Si je peux retenir une chose, c’est cette magie. Je ne pourrai pas l’expliquer, Pourquoi cette personne m’a aidé à ce moment-là ?

Pourquoi moi ? Je pourrais te dire que j’avais un ange gardien, je pourrais te dire que c’est la volonté de Dieu ou n’importe quelle autre connerie. Non Nelson, ce sont des personnes comme toi et moi qui ont juste vu une autre personne comme elle qui avait besoin d’aide.

J’ai campé dans le jardin d’un hôtel au Malawi parce que c’était tout ce que ces personnes pouvaient m’offrir, j’ai dormi dans leur canapé, j’ai même dormi dans les containers des casques bleus australiens au Timor Leste. J’ai dormi sur le toit d’un bus avec un gars qui me retenait pour ne pas que je tombe. J’ai dormi avec des moines tibétains au Népal, dans leur tente. J’ai dormi en plein milieu du désert au nord de l’Inde avec des dromadaires, j’ai dormi dehors en Zambie avec des singes et des éléphants qui étaient menaçants. J’ai dormi à plus de dix dans un lit de deux avec une grand-mère de plus de nonante ans en Afrique, parce que de toutes façons, c’est comme ça qu’on dort. J’ai dormi dans des bus sur des kilos d’oignons avec des chèvres qui essayaient de me mordre, j’ai dormi avec des poules que j’allais manger le lendemain.  

Je ne me souviens même plus Nelson, Si je cherche, je pourrai en trouver d’autres, mais ce dont je me souviens, c’est que toutes ces personnes qui m’ont permis de dormir, m’ont tendu la main au moment où j’en avais besoin, sans jamais rien me demander en échange. Si en fait, toujours le café ou le thé au matin avec un grand sourire. Je ne parlais même pas leur langue pour leur dire merci. Mais un merci tu sais, ça passe par le regard. C’est pas si compliqué qu’on pourrait le croire.

Nelson j’ai eu la naïveté de croire que le monde c’est comme ça qu’il tournait. Maintenant, j’ai la certitude que c’est comme ça qu’il devrait tourner. Ne me l’enlève pas. Dans quel monde tu veux vivre ?

Moi j’ai fini mon voyage depuis longtemps, je suis revenue dans ce monde d’égoïstes. Et merde, Nelson, il est pas beau. Il est pas beau, mais il sera ce qu’on en fait. Des mains tu en as deux, tends en une, juste une seule. Et si on multiplie ça par le nombre de personnes qui feront l’effort, tu verras, je te le promets, le monde se parera de milles couleurs.