mardi 23 octobre 2007

World Trip # 13: Malawi (Part VIII & Last)

Au petit Noé qui commence son voyage dans la vie, pendant que le mien en Afrique se termine...


Au Malawi, le bus termine ses 40 h de trajet à Blantyre, au sud du pays. Ce sera l’occasion pour moi de visiter la ville que je ne connaissais pas encore.
A l’hôtel, on croise un ami de Nkhata Bay, Fortune, qui vient de se faire offrir un job de serveur à Cape Town, et qui se trouve à Blantyre pour prendre d’un jour à l’autre le bus vers l’Afrique du Sud. On devine aisément qu’il repousse l’échéance au maximum, je le sens très tracassé de partir vers l’inconnu.
On essaye du mieux qu’on peut de lever ses appréhensions en lui fournissant toutes nos adresses, contacts et points de chute amassés ces dernières semaines, et c’est le cœur beaucoup plus léger qu’il nous fera ses adieux, à Puncque, moi, et sa petite amie qu’il espère revoir au mieux dans 6 mois.

Puncque et moi, on prend le bus de nuit vers Nkhata Bay, et on arrive juste à temps pour le lever de soleil sur le lac. Rien n’a changé durant cette éternité que m’a semblée ce séjour loin d’ici, et malgré le village encore engourdi de sommeil, la nouvelle de notre arrivée se répand comme une traînée de poudre. Captain Che Billy sera le premier à venir nous saluer… Non, décidément rien n’a changé à Nkhata Bay…

Premier arrêt qui s’impose ; Gogo bien évidemment. On pénètre alors dans une maison jonchée de corps endormis qu’on enjambe péniblement. Il y en a partout ; dans le couloir, dans la salle de séjour… Au milieu de ces corps se redresse d’un bond Gogo en chemise de nuit qui, au son de la voix de son petit fils préféré, semble dotée d’une énergie insoupçonnée jusqu’alors. Une véritable résurrection !
Sur l’exemple de Gogo, toute la maisonnée se réveille progressivement. Wanangwa me grimpe déjà dessus pour effectuer ses acrobaties, et me sort toute sa panoplie de grimaces et singeries qui m’avaient tant manqué !
Des cousins et cousines dont je ne soupçonnais pas l’existence sont là, ainsi qu’une orpheline devenue adulte que Gogo avait pris sous son aile à la mort de ses parents.

Il n’y a pas réellement de structures légales au Malawi, et la plupart des enfants ne sont même pas officiellement enregistrés à leur naissance. Si les parents meurent, on compte sur la solidarité familiale au sens large pour éviter aux enfants les orphelinats surpeuplés dont regorgent chaque ville et village important. Le sida fait des ravages en Afrique…

Bref, Gogo ayant été sérieusement malade (avant sa résurrection miracle de ce matin), la famille est venue la veiller au cas où quoi que ce soit devait arriver.

Quand on a fini le déballage de nos cadeaux sud-africains qui ravissent tout le monde, on m’indique une pièce exiguë avec un lit de camp (chambre de tout le monde et personne) pour m’y reposer ; au départ pour quelques heures, qui deviendront finalement plusieurs jours… Mon petit séjour chez Gogo…

Une fois Puncque revenu pour prendre les choses en main, la famille élargie se retire, et on se retrouve « entre nous » : Puncque, Gogo, Thoko, Wanangwa et Dave.
La maison est sans dessus dessous, et Puncque pique une crise contre Thoko qui est sensée être la maîtresse de maison et maintenir l’ordre et la propreté. Malgré mon statut d’étrangère, et bien que cela ne se fasse pas de s’opposer directement, je prends le parti de Thoko ; elle n’a que 13 ans, assume déjà seule toutes les lessives, courses, repas, vaisselle, etc. quand Puncque est absent. Pour moi, l’école doit rester sa priorité. Pas de chance ; ce sont les grandes vacances scolaires au Malawi, et mon argument tombe à l’eau. Puncque souligne que chacun doit assurer sa part de besogne. Depuis la mort de leur mères (pas même un an pour Wanangwa, pas même 6 mois pour Thoko), il trime pour leur payer nourriture et étude, veille sur elles comme s’il s’agissait de ses propres filles ; elles doivent donc collaborer en son absence.

Match nul.

Pour calmer les esprits, je propose une journée nettoyage tous ensemble pour le lendemain…

En Europe, à voir Thoko assurer sans broncher ses tâches quotidiennes de 5-6h du matin jusqu’au coucher, avec une seule pause pour l’école, on crierait au scandale et à l’exploitation infantile. Ici, ce n’est pas une question d’éthique, mais de survie.

Le lendemain, dès le lever, je pars acheter les produits de nettoyage ; un exemplaire de tout ce que je trouve, ce qui se réduit à du Vim, du Dettol, et de la crème à récurer. Je ferai tous les magasins et toutes les gargotes de Nkhata Bay pour trouver une éponge ou son équivalent, mais je devrai me résoudre au fait que cela n’existe pas. On se débrouillera avec de vieux tissus.
Une des tantes de Puncque venue donner un coup de main regarde mes produits de nettoyage avec suspicion, et me demande à quoi peut donc bien servir la crème à récurer… On n’est pas sorti de l’auberge !
Je m’attaque à l’armoire à vaisselle en passant le plus clair de mon temps à dégager les tiroirs de leurs cafards, et je terminerai par l’évier qui se demande encore ce qui lui est arrivé…
Pendant ce temps, Puncque a détecté un insecte mortel dans la douche. On détruit carrément tout le mur pour tenter de le retrouver, sans résultats. Après la casse, on va dehors chercher de la terre qu’on mélange à de l’eau, et on répare le mur façon locale… C’est si simple…

A Nkhata Bay est de visite Jeffrey, un cousin de Puncque. Il s’est marié il y a 9 mois à une Allemande, et vit aujourd’hui à Hambourg. Puncque et lui sont évidemment super heureux de se revoir, et Jeffrey veut absolument rencontrer la mzungu qui cuisine pour sa grand-mère… Comme toujours, les nouvelles vont vite à Nkhata Bay !
Jeffrey est beau garçon, très calme et gentil. Pour ses copains, il mène une vie heureuse et paisible en Europe… Il a gagné à la loterie ! Quand je lui demande en aparté si l’adaptation n’est pas trop difficile, il me répond que le Malawi lui manque énormément, et qu’il a beaucoup de mal avec la froideur et l’égoïsme occidental qui n’ont rien de comparable à la culture africaine… « Tu dois bien comprendre, toi » me dit-il… Et oui, je crois que je vois bien ce qu’il veut dire…

Dans une petite ville comme Nkhata Bay, tout le monde se connaît. Dans la conception africaine de la famille, on est quasi tous cousins et cousines, et la notion de frères et sœurs ne se limitent pas aux enfants de même père et mère. La solidarité est très forte car les gens ne comptent sur aucune structure légale (inexistante), mais directement les uns sur les autres. Le concept de propriété semble être un concept importé qui a du mal à s’implanter. On partage tout. Lorsque je donne quelque chose à Thoko ou Puncque, je suis certaine de retrouver quelques jours plus tard un cousin ou copain en sa possession. Et je me sens terriblement égoïste à présent de leur suggérer de garder ce que je leur donne pour eux seuls. Dans la rue, tout le monde se salue, et c’est mal vu de ne pas prendre le temps d’échanger quelques mots (« No hurry in Africa ! » vous dira t-on ;-)) et demander des nouvelles de la famille. Pas besoin de radio, journal ou télévision, l’information se transmet de bouches à oreilles à la vitesse de l’éclair, ce qui a aussi comme effet une certaine « auto- surveillance » sociale, i.e. : comme tout le monde connaît tout le monde et que tout se sait, on n’a pas intérêt à mal agir… En ce qui me concerne, il m’est arrivé plusieurs fois des situations embarrassantes, lorsque, ayant oublié ma lampe de poche, et devant rentrer à ma guesthouse dans l’obscurité totale des nuits sans lune, les gens m’abordent ou viennent me saluer. Ne voulant pas les froisser, j’embraye sur la conversation, mais visage noir dans le noir, je ne vois absolument rien. Le lendemain, c’est le jeu des devinettes pour connaître l’identité des personnes à qui j’ai parlé…

Au Malawi, c’est maintenant la saison chaude et sèche ; la chaleur est devenue insoutenable, accablante, paralysante. Partout on brûle les terres pour les fertiliser en préparation de la saison des pluies prévue pour décembre.
Ceci a comme conséquences non seulement de faire fuir les serpents qui se retrouvent alors sur les sentiers empruntés par les piétons, mais aussi de faire éclater les canalisations d’eau en plastique (les autorités locales n’ayant pas le budget pour quelque chose de plus solide)… On se retrouve alors plusieurs jours sans eau ; dans les hôtels aux toilettes communes comme le mien, c’est la joie… , et on se voit contraints de se laver dans le lac… « Go local ! »… On s’adapte !

Hadas, l’Israélienne est rentrée au pays. Margaret et les autres villageoises ont terminé leur première grosse commande de coussins pour un hôtel local. Pour payer les matières premières, Hadas et moi avions avancé l’argent. A présent, elles devraient avoir engrangé le bénéfice nécessaire pour constituer le fonds de roulement suffisant pour toute nouvelle commande. Elles peuvent voler de leurs propres ailes à présent…

Après Hadas, j’ai fait aussi mes adieux à Philip, le barman de la guesthouse où j’ai séjourné la plupart du temps.
On s’appréciait énormément, et on avait tissé des liens particuliers depuis que, l’ayant entendu par hasard chanter du gospel avec ses amis dans son village, je l’avais encouragé à se produire en public pour les résidents de la guesthouse. Ils avaient eu un succès fou, et Phil, grand timide, semblait m’en être éternellement reconnaissant. Il s’arrête maintenant de travailler pendant un mois pour aider à la construction de maisons pour les plus démunis. Je lui tire ma révérence…

Depuis que je suis arrivée au Malawi, s’il y a bien un sujet qui enthousiasme tout le monde, c’est le festival « lake of stars » (http://www.lakeofstars.co.uk/). L’événement de l’année à ne manquer sous aucun prétexte ! Un festival de musique international réunissant les plus grands DJ’s mondiaux… Bon, habituée à ce que les locaux qui ont le rythme dans la peau s’emballent pour n’importe quel concert, je mets en doute le côté hautement international de la chose, mais les descriptions des pistes de danse à même la plage et l’engouement déclenché par la simple allusion au festival suffisent à me convaincre de prolonger mon séjour au moins jusqu’à la fin de celui-ci.
Le festival dure 3 jours, mais problèmes d’estomac qui m’affaiblissent obligent, je décide de n’y passer qu’une seule journée. Arrivée sur place, c’est bien ce que je craignais ; le festival organisé par des Anglais n’a pas adapté ses tarifs aux standards locaux, mais s’est aligné sur les droits d’entrée européens. 30 euros l’entrée. Les locaux épargnent 6 mois pour pouvoir y participer… L’idée d’un tarif spécial pour les Malawiens n’a pas eu l’air de leur avoir effleuré l’esprit…
Après avoir payé ma place, et offert comme promis à Puncque la sienne, il me reste juste de quoi reprendre le bus. Même pas de quoi boire ou manger. De toutes façons, les bières coûtent plus de 5 fois le prix normal. Scandaleux, mais qu’y faire ?
A l’intérieur, conséquence directe de ce qui précède, 95% de mzungus, 5% de locaux.

Parmi les 5% de locaux, beaucoup des amis rencontrés au cours de ces 3 derniers mois, venus des 4 coins du Malawi ; Mzuzu, Blantyre, Lilongwé, … J’aurais pas pu rêver mieux pour mes adieux au Malawi. On se croirait à la dernière scène du film « Big Fish », lorsque tous les protagonistes se retrouvent à l’enterrement du père.
Les groupes sont bons, notamment l’excellent Lucius Banda. Néanmoins, vers minuit, mon estomac a raison de moi, et je n’ai plus qu’une seule envie, c’est de rentrer dormir. Pas de chances, les derniers bus étaient à 18h, me voilà bel et bien coincée !
Ricardo, que j’apprécie très très moyennement à cause de ses mensonges répétés pour se faire offrir à boire ou prêter de l’argent qu’il ne rembourse jamais, me propose de dormir dans sa tente. Il a apparemment repéré un groupe de filles dans la tente de qui il espère se faire inviter. A 3h du matin, son plan a certainement échoué, et il se rapplique avec une bande de potes bourrés qui me jettent dehors pour s’installer… Merci Ricardo, j’en attendais pas moins de ta part !!
Malade, frigorifiée, fatiguée, sans pull ni couverture, je me retrouve à devoir dormir sur le sable humide de la plage. Par chance, Windstone passe par là, et me voyant claquer des dents, me propose une tente qu’il a en trop. Je la monte dans l’obscurité. Impossible de me réchauffer. A 8h du matin, le festival reprend de plus belle, mais ce sera sans moi. Ricardo, honteux, fait semblant de ne pas me voir. Kelvin, toujours le sourire aux lèvres, tente de me convaincre de rester, mais j’ai eu ma dose, je suis écoeurée. Tout ça pour ça !

Deux jours plus tard, je fais mes adieux à Puncque qui part pour son dernier safari d’un mois en Zambie. Si tout se passe bien, ça devrait lui permettre de payer son billet de bus aller pour l’Afrique du Sud et la nouvelle vie qui l’attend là-bas.
Gogo est évidemment très préoccupée de le voir partir, mais il a beau tourner le problème dans tous les sens, cela semble le seul moyen pour lui de pouvoir continuer à entretenir sa famille. Résignée mais inquiète, elle lui demande de ne pas l’oublier et de lui envoyer de l’argent… Ce qu’il fera, bien évidemment, c’est surtout pour eux qu’il part….

De mon côté, je continuerai d’aller cuisiner chez Gogo jusqu’à mon dernier jour, et profiter de mes derniers moments avec Thoko et Wanangwa.
Elles me demandent sans cesse si je reviendrai, dans un mois ? dans deux mois ?
Je ne sais vraiment pas quoi leur répondre, mais je ne les oublierai pas, c’est la seule chose que je pourrai leur promettre avec certitude…

jeudi 18 octobre 2007

World Trip # 12: Afrique du Sud (Part III) - Zimbabwe - Mozambique

Une semaine à peine en Afrique du Sud et le Malawi me manque déjà; spécialement Thokozani et les pitreries de la petite Wanangwa.
Ne voulant pas abuser de l'hospitalité de la mère de Puncque, et pas réellement charmée par Durban, je déniche des billets d'avion en promo pour Cape Town; ce qui non seulement revient moins cher que le bus, mais nous épargnera par la même occasion les 30h de voyage.
Lorsque j'annonce notre départ à Édith, je lis de la déception mêlée de tristesse sur son visage; elle s'attendait à ce qu'on passe le mois entier chez elle. Je me laisse attendrir et promets de repasser chez elle avant de rentrer au Malawi. A partir de cet instant, un nouveau sujet de conversation supplante Big Brother, qui est de connaître la date de notre retour, la durée de notre séjour à Cape Town, qui, d'après elle, ne vaut pas la peine, un jour devrait largement nous suffire.

On dit donc à dans quelques jours, et on part pour Cape Town.
Puncque, qui effectue son baptême de l'air est aux anges; pour moi c'est l'enfer dans les cieux. Toujours aussi morte de trouille en avion et prise de crises de claustrophobie, j'écoute Puncque m'expliquer sereinement que maintenant que j'ai pris la décision d'être à bord, il faut que j'apprenne à accepter mon sort... J'ai presqu'envie de lui dire qu'une des différences entre nos deux cultures est que la mienne n'accepte jamais son sort, mais tétanisée par la peur, j'abandonne toute idée de lancer un débat philosophique...
Je commencerai seulement à me dérider quand on survolera Cape Town et le Cap de Bonne Espérance dont le nom évoque les grandes expéditions exploratrices. Le lieu où les eaux chaudes de l'océan indien se mêlent aux eaux de l'océan atlantique, elles-mêmes refroidies par celles de l'Arctique... (pour ceux qui suivent toujours... :-))
Cape Town est coincée entre mer et montagne, et on se trouve justement du bon côté de l'avion pour admirer Table Mountain dans la brume, reflétant toute une gamme de couleurs allant du mauve à l'orangé... Vu du ciel, je serais bien tentée d'adhérer à tous les superlatifs qui classent la ville parmi les plus belles du monde. Vu d'en bas, c'est autre chose.
Sans qu'on lui demande, le chauffeur de taxi nous rassure d'emblée; Cape Town est une ville sure. D'après lui, 30% de la criminalité provient de vengeances familiales, 60% de guerres des gangs, les 10% restant sont la criminalité usuelle dont les responsables ne sont pas les gens de Cape Town, mais les méchants venus de Jo'burg... Bref, nous dit-il, si vous n'êtes pas issus d'une famille violente, et si vous n'avez pas de mauvaises fréquentations, vos risques sont limités.... Ca devrait aller!
En ville, tous les hôtels sont pleins pour les 3 semaines à venir. Je trouve finalement de la place dans une guesthouse hors de prix de qualité très très moyenne (entendre par là que cela me fait mal au ventre de payer pour ce taudis).
Un cousin de Puncque est prêt à nous accueillir, mais il habite en dehors de la ville, ce qui nous coûterait de toutes façons plus cher en trajets.

Cape Town recèle d'activités de toutes sortes: parapente en se lançant du haut de Table Mountain, téléphérique et trekking, expéditions en bateau pour admirer les baleines (on est pile à la bonne saison), jardins botaniques, route des vins (hum, hum), safaris (encore), plongée en cage pour nourrir les requins blancs (ce qui attire de plus en plus de requins vers les côtes qui associent nourriture et homme, et accroît sensiblement le nombre d'accidents... l'humain encore et toujours puni pour ses bêtises...), etc. Bref, y en a pour tous les goûts, mais malheureusement pas pour tous les portefeuilles... Tout coûte une fortune, et quand on n'a pas le budget, ben y reste pas grand chose à faire... J'étais prête à faire un effort pour la visite de Robben Island, lieu de détention de Mandela, par un de ses anciens co-détenus, mais encore une fois, tout est complet pour la semaine. On se baladera de long en large dans Cape Town qui se révèle être une ville agréable, dotée d'un petit côté européen cette fois, truffée de restos et bistrots sympas aux menus variés et appétissants. Quant à la beauté des bâtiments en soi, rien qui ne vaille ne serait-ce que le coup d'oeil...

Au bout de deux jours, on doit changer de crémerie, notre hôtel est réservé pour d'autres touristes. Plan d'urgence; Puncque téléphone à une de ses connaissance de Nkhata Bay, Manson, qui vit à Cape Town, ancien meilleur ami d'un de ses demi-frères. Manson est un type adorable qui figurera certainement dans ma short list des êtres les plus gentils que j'aurai rencontré en voyage. Puncque ne le connaît pas intimement, mais en tant que ½ frère de son ancien meilleur ami, Manson met un point d'honneur à l'accueillir comme s'il était de sa propre famille. Puncque a à peine raccroché, que Manson est déjà en ville pour venir nous chercher; il veut s'assurer que l'endroit où il compte nous loger nous plaise (on va peut-être pas faire les difficiles non plus ;-)).
En route donc pour Camps Bay, banlieue chic de Cape Town à flanc de montagne, qui n'est que succession de villas gigantesques tournées vers l'océan, méritant toutes de figurer à la une des magazines d'architecture. On arrive enfin chez Manson qui vit dans un minuscule 10-12m², c'est à dire tout juste la place pour un lit, une cuisinière et une douche. On a à peine le temps de s'asseoir qu'il nous débouche une super bouteille de vin alors que lui-même ne boit pas d'alcool, et propose de nous préparer à manger.
Il me raconte qu'il est parti de Nkhata Bay pour Cape Town il y a deux ans où il travaille désormais comme « housekeeper » pour l'équivalent de 300 euros par mois. Au mur de son studio, il y a des dizaines de photos de sa petite fille, 3 ans, restée au Malawi. Visiblement content que je m'y intéresse, il m'explique que c'est pour pouvoir lui envoyer de l'argent qu'il est ici, et qu'elle lui manque énormément. Quand je lui demande s'il la voit souvent; il me dit avec un sourire qu'il n'a pas à se plaindre, la dernière fois remonte à il y a 6 mois...

Arrive le moment où l'on parle de logistique pour les jours à venir; pour moi, pas de problèmes, Puncque et Manson peuvent dormir à l'africaine à deux dans le lit, on trouvera bien de quoi me faire un semblant de matelas à terre. A la guerre comme à ma guerre! Tu parles! En fait Manson nous fait dormir dans la maison de son boss avec qui il s'entend apparemment bien, et qui ne vient dans sa résidence secondaire (ou tertiaire) qu'une fois toutes les lunes. Une villa de 700 m² sur 3-4 étages de baies vitrées donnant sur l'océan, piscine, mini-cinéma privé, 7 ou 8 chambres avec salle de bains privative... Ma propre chambre doit faire 40 m² avec terrasse et vue sur la mer... (Je veux la même! :-))

On repart en ville chercher nos bagages (c'est bon, l'endroit nous satisfait ;-)), et je profite pour faire les courses dans la perspective d'un bon petit dîner à trois.
A côté du supermarché, il y a un marchand de vins. Je vais évidemment jeter un oeil, et le vendeur me voyant intéressée m'invite à une dégustation. Puncque qui a bu son premier verre de vin il y a quelques semaines participe. Le vendeur, très BCBG et fier de ses grands crus, part dans des descriptions grandiloquentes et sans fin des arômes dégagés par ses breuvages. Puncque pour conclure lui demandera s'il «fabrique» ses vins lui-même... Morte de rire mais ne voulant pas l'embarrasser, je laisse répondre le marchand interloqué. Dans les villages au Malawi, on produit son alcool soi-même...

Retour chez Manson avec mes paquets de courses, et là, stupéfaction; il doit y avoir 6 ou 7 personnes chez lui déjà en train de cuisiner poulet et nsima. Ce sera comme ça tous les soirs qui suivront; les immigrés du Malawi se serrent les coudes, cuisinent et mangent entre eux... Ils disent « You should better trust your malawian ennemy rather than you south african friend ». Il y a une solidarité très forte entre eux qui me rappelle la communauté polonaise de Bruxelles.

Puncque retrouve beaucoup de ses amis d'enfance de Nkhata Bay; Edwin, Bright, Christopher, etc., et leur réalité contraste beaucoup avec le fantasme que se font les Malawiens de l'Afrique du Sud. Ils vivent tous dans des conditions précaires dans le but d'épargner quelques dollars à envoyer à leur famille, leur salaires plafonnent à 300 euros par mois, et leurs métiers ne sont pas toujours les plus faciles; ouvriers de chantier sous la canicule, femmes de ménage ou serveuses aux horaires impossibles, marchands de souvenir sur la plage pour touristes dédaigneux...
Puncque m'explique à quel point il est déçu, et je peux sentir son désespoir, son rêve d'une vie meilleure qui s'effrite au fur et à mesure des témoignages de ses amis. De temps à autres, il se ressaisit, rallume la flamme en se disant que contrairement aux autres, il possède un diplôme, ne serait-ce que de mécanique... Je préfère me taire parce que je n'ai malheureusement pas grand-chose de positif à lui dire pour le rassurer... Ce qui lui mettra du baume au coeur, c'est qu'on partira d'Afrique du Sud avec une liste de personnes prêtes à l'accueillir et l'aider quand il reviendra.

Pour retourner sur Durban, plus de billets d'avion bon marché, on se coltine les 30 h de bus.
Rien de neuf sous le soleil, si ce n'est quelques candidats éliminés de Big Brother... On est toujours accueillis comme à la maison, mais les meilleures choses ont une fin, et le Malawi nous attend (youpie!)...
A la gare de bus de Jo'burg, je ne peux pas me tromper de destination; les Malawiens qui font la queue se précipitent pour m'aider à porter mes sacs, et leur visages s'illuminent quand je leur dis que je suis contente de retourner au Malawi. Leur chaleur tranche fortement avec la froideur sud-africaine...

Cependant, l'ambiance dans le bus est beaucoup plus sérieuse qu'à l'aller, et les gens moins bavards. A l'aller, les gens avaient peur de l'inconnu et trompaient leur anxiété en conversant avec leurs voisins tout aussi angoissés. Cette fois, les gens reviennent avec de l'argent et des cadeaux pour leur famille, et surtout des kyrielles de choses qu'ils espèrent revendre, et c'est en silence qu'ils font déjà leurs comptes...

Quelques heures après notre départ, un des passagers demandent au chauffeur de s'arrêter pour lui pouvoir uriner. Le chauffeur refuse et lui dit qu'il n'a qu'à pisser dans le bus... Ce qu'il fera immédiatement dans l'allée centrale... et cela n'ébranlera pas grand monde...

On retraverse les Zimbabwe; les dernières nouvelles sont une pénurie de blé, et donc la fin de l'approvisionnement en pain. Il me reste 110 000 dollars zimbabwéens de mon passage précédent, et je demande au caissier du magasin où l'on s'arrête ce que je peux acheter avec cette apparente grosse somme d'argent; une sucette! Avant la dernière dévaluation de la monnaie il y a à peine quelques mois, cette sucette m'aurait coûté 110 millions. La prochaine dévaluation prévue pour la fin de l'année divisera à nouveau par mille la monnaie. L'inflation attendrait désormais 6000%.

Le bus repart d'Harare quand on se rend compte que 4 personnes manquent à bord. Finalement 2 d'entre elles remontent dans le bus en titubant et s'écroulant tous les mètres. Je me dis que c'est pas forcément malin de se mettre dans un état pareil pour un si long trajet en bus. Les passagers crient au chauffeur d'aller chercher du sel; apparemment; on peut éliminer les effets de l'alcool en se frottant énergiquement la plante des pieds avec.... Et dire que je suis passée à côté de cette recette miracle africaine toutes ces années de guindaille! (Si l'un d'entre vous essaye, n'hésitez pas à m'envoyer vos résultats par mail ;-))
Finalement, la réalité prêtera beaucoup moins à sourire; les deux personnes qui manquent toujours ont en fait drogué les deux autres, et ont disparu dans la nature après avoir dérobé leurs victimes. 700 euros de volé pour l'un, l'autre ne recouvrera pas ses esprits de tout le trajet.
Apparemment c'est un grand classique; le voleur gagne la confiance de sa victime, parfois même plusieurs jours avant le départ, profitant de l'isolement des immigrés en Afrique du Sud. Une fois dans le bus, il partage généreusement boissons et nourriture dans lesquelles il aura pris soin de dissimuler de la drogue. Quand on connaît les sacrifices qu'impliquent cet argent durement gagné, il n'y a pas d'adjectifs assez forts pour qualifier cet acte de vol...

A la frontière du Mozambique, je me fais bassiner par le douanier qui chipote et tergiverse pour me délivrer mon visa... Il me fait remplir des papiers, puis m'oblige à refaire les 30 minutes de queue, me délivre un cachet, puis me remet dans la file... sans doute un petit débutant en mal de démonstration d'autorité... Pendant ce temps, plusieurs passagers du bus se sont fait voler leur GSM par les petits gosses, vendeurs de boisson à la sauvette.... Les hommes du bus se réunissent et partent à la chasse aux voleurs... mais c'est peine perdue, ces derniers sont sur leur territoire, et connaissent toutes les cachettes possibles par coeur...

Une fois la frontière passé, on retraverse une partie du Mozambique, qui comme cela m'avait choqué en Zambie, possède un nombre impressionnant de villages au milieu desquels se dressent les tentes du World Food Program, preuve de la présence soutenue des Nations-unies, et toujours ces puits devant lesquels femmes et enfants font patiemment la queue...

vendredi 12 octobre 2007

World Trip # 11: Afrique du Sud (Part II)

La route qui mene de Jo’burg vers Durban offre des panoramas aussi varies que somptueux : des plaines sans fin de savane jaune parsemee d’arbres a l’ecorce noire, des etendues desertiques d’ou emergent au hasard des rochers immenses qui font penser au Grand Canyon, des forets denses de pins... et se termine par la region des 1000 collines qui laisserait prejuger qu’on aurait transpose les paysages d’alpage en pleine Afrique australe. Je regrette alors de ne pas avoir le budget necessaire pour louer une voiture et pouvoir m’aventurer davantage dans la pays.

Apres avoir ete tant decue par Jo’burg, Durban ravive a nouveau mes attentes. A l’arrivee, Victor, autre demi fere de Puncque nous accueille et nous guide a travers la jungle des transports en communs. ¾ heure plus tard, on arrive a la maison ou vivent de puis 13 ans la mere et le beau-pere de Puncque. On passe les nombreux grillages qui protegent le lotissement, avec toujours placardes les « armed responses » accueillants, et on arrive dans une maisonnette modeste de 60-70 m2 que se partagent les parents, Victor, et les deux soeurs avant qu’elles ne partent etudier a Jo’burg.
Victor a 30 ans, est comptable au chomage, et s’ennuie a mourir aupres de sa mere et son beau-pere. C’est quelqu’un d’extremement gentil, un peu pataud, qui tue le temps en buvant des bieres avec ses copains, et qui cache ses bouteilles de gin derriere le canape pour que ses soirees a la maison paraissent moins longues. Il est evidemment enchante de notre visite qui mettra un peu de couleurs dans son quotidien morose. Il nous parle comme tout le monde de l’insecurite ambiante ; ses bras et ses mains portent les cicatrices des attaques au couteau dont il a ete victime.
Le beau-pere est quant a lui completemennt renferme, et nous salue a peine a notre arrivee. Ancien Captaine de l’Ilala (seul ferry qui parcourt depuis 50 ans le lac Malawi de long en large), il a gravit un a un les echelons pour occuper aujourd’hui un poste a responsabilite au port de Durban. Finalement, il sortira de temps en temps de sa coquille et on aura des conversations interessantes. Il me posera beaucoup de questions sur la Belgique sans gouvernement dont on fait mention meme en Afrique du Sud, et sera curieux de connaitre le regard occidental que je pose sur la societe africaine.
La mere, Edith, est une veritable pile electrique qui n’arrete pas de parler et rire. Elle tient un minuscule magasin de bonbons dans une ecole de son quartier, et au moment ou on partait, hesitait a accepter un boulot de puericultrice ¾ temps pour un salaire de ... 170 euros par mois. C’est une femme volontaire qui a voyage seule en Angleterre et en Espagne ou elle acceptait ca et la des boulots de femme de menage. Aujourd’hui, deux choses lui tiennent particulierement a coeur ; dans l’ordre, loin devant, Big Brother Africa, ensuite la Bible. Essayez de lui parler d’autre chose, et vous tiendrez a peine 5 minutes avant que la conversation ne devie immanquablement sur l’attitude des candidats de Big Brother, ou sur ce qu’enseigne la Bible dans telle ou telle circonstance. J’ai quand meme ose lui confesser que je ne crois pas en Dieu, mais cela n’a pas eu l’air de l’affecter outre mesure ; elle etait davantage interessee de savoir pour quel candidat de Big Brother je voterais volontiers. La tele est branchee inlassablement des son reveil et des son retour du travail sur son programme favori.
Pour moi, Big Brother a neanmoins un cote revelateur de la mentalite africaine : 12 candidats issus de 12 pays africains ; parmi eux, un Tanzanien marie a une Canadienne qui trompe sa femme chaque jour avec la candidate angolaise devant 25 millions de voyeurs. Et pourtant, les commentaires des telespectateurs fusent et encouragent ; « Bravo Richard, les vrais hommes africains se doivent d’avoir plusieurs femmes ! »
Avec son cote parfois exasperant de son obsession pour la tele-realite, Edith la mere possede un autre cote attachant, et me met tout de suite a l’aise. Ici, pas de chichis, je vais et je viens comme si j’etais a la maison, et ca fait du bien ! Par contre, elle me remercie sans cesse d’etre « such a good friend for Puncque », au point de que cela en devient genant.

Durban est une ville beaucoup plus aeree que Jo’burg, possede un port enorme, et une superbe plage au bord de l’Ocean Indien. Il est desormais sur de s’y baigner depuis que des filets de securite ont ete installes pour garder les requins a distance. Chaque jour, des dizaines de surfeurs prennent leur pied dans les vagues. Cela mis a part, Durban ne possede aucun charme ; a nouveau, une ville facon Amerique profonde, l’amabilite des commercants facon « Paris touristique » en plus.
Plusieurs fois, j’ai voulu trouver un endroit cosy et calme ou prendre un cafe entre deux ballades, un petit resto sympa ou manger un plat simple et sain, mais je n’ai trouve que des chaines vendant des hamburgers ou du poulet frit : KFC, Sterns, Nando’s. Chicken Licken, etc que frequente la population obese.
Edith nous a emmene decouvrir Durban dont elle est fiere et ne cesse de repeter que c’est certainement la plus belle ville d’Afrique du Sud. On peut meme y faire des ballades romantiques en barque.... En realite, des canaux ont ete construits avec, pour s’y deplacer, des repliques des gondoles venitiennes equipees de moteurs : c’est d’un mauvais gout !

La vague de psychose de Jo’burg n’a pas encore provoque de raz de maree a Durban, mais cela ne pourrait tarder : on ne va pas au cinema apres 17h parce que c’est trop dangereux d’en sortir une fois la nuit tombee. Passe 19h, c’est le couvre feu impose par la peur, on ne se deplace plus qu’en taxi.
Le samedi soir, lasse de Big Brother, je propose une sortie : tant pis, on se saignera pour payer le taxi. Direction un bar « backpackers », ambiance reggae. Les deux freres se font refuser l’entree. J’arrive peu apres pour signifier au sorteur qu’ils m’accompagnent : « c’est bon pour une fois » nous dit-il. Une fois a l’interieur, que des « whites ». Droit d’entree : 50 rands pour moi, 100 chacun pour Puncque et son frere. Raison invoquee : ils ne portent pas de chemise. Je regarde mon T-shirt de bas en haut en me disant que ma pigmentation cutanee m’offre des discounts a l’entree des discotheques, et on decide de quitter cet endroit puant. Victor nous emmene dans un autre bar ou je serai la seule blanche cette fois. J’aime pas l’ambiance ; sur notre table, trainent encore les feuilles d’aluminium et les rasoirs utilises pour se preparer des lignes de coke. Comme dans la grande majorite des bars africains, la musique est jouee tellement fort qu’on n’y decele plus aucune melodie. Apres quelques bieres, on rentre. Victor n’a pas confiance en les taximen gares devant notre cafe. Encore cette paranoia me dis-je, je frappe a la vitre de l’un d’eux : sans doute occupe a dealer, il me sort son flingue ! Ok, ne vous derangez pas pour moi, je ne faisais que passer....

Le lendemain matin, Edith nous apprend que Gogo la grand-mere de Nkhata Bay est malade et se sent mourir. Un de ses fils et une de ses filles vivant pas loin mais ne se preoccupant pas vraiment d’elle lui ont diagnostique une legere malaria qui devrait guerir d’ici quelques jours. Edith insiste par telephone pour qu’on la conduise a l’hopital etant donne ses antecedants de thrombose, mais Gogo resiste : seul son petit-fils adore Puncque aura le droit de la conduire. Elle n’a confiance qu’en lui et repete qu’il va revenir bientot d’Afrique du Sud pour la sauver. Finalement on parvient a lui faire voir un docteur qui lui diagnostiquera de l’hypertension aigue.

En Afrique du Sud, je me mets plus facilement au courant de l’actualite. Je lis avec degout les articles decrivant comment la Chine est en train d’investir a coups de milliards de dollars au Congo pour s’assurer la mainmise sur les reserves de pierres precieuses, comment les Etats-Unis repensent en douce leur strategie militaire pour se tourner davantage vers l’Afrique, stabiliser les gouvernements au pouvoir (democratie ou pas, meme combat) afin de mieux sucer les richesses petrolieres, l’Europe qui y met son grain de sel car elle veut sa part du gateau. Dans ce grand jeu de Monopoly, seules les elites au pouvoir et quelques riches businessmen feront sauter la banque, et on continuera certainement a envoyer des enfants exploiter les mines de diamants.

Ici, les politiques occidentales et chinoises ne trompent personne. Et si on se croit toujours etre les faiseurs de democratie, maitre a penser de l’ordre mondial, ami philantrope de l’Afrique, il serait grand temps de constater qu’on a perdu toute credibilite, et que l’on est depuis longtemps dechu de notre titre de garant moral. Le veritable heros africain des temps modernes, c’est Mugabe. Il a beau par sa politique affamer son peuple, etre un dictateur sanguinaire ; il est aussi celui qui a exproprie les riches proprietaires blancs au profit de la population noire, celui qui a nationalise les multinationales occidentales implantees dans son pays, et celui qui continue de defier les leaders des pays riches. A la television, on montre les images de Bush accusant Mugabe d’etre un dictateur sans scrupule, et Mugabe de repondre qu’il n’a pas a ecouter le discours de quelqu’un qui a du sang irakien sur les mains. Pour moi, il n’y en a pas un pour rattrapper l’autre, mais les Africains se delectent et applaudissent Mugabe des deux mains...

L’afrique est le continent ou les ethnies s’entretuent encore a coups de machette. Un ami malawien m’avait dit « transpose le probleme belge en Afrique, et ca se reglera par une guerre civile ». Et c’est malheureusement tres proche de la verite. Au Malawi, il y a quelques annees, lorsque Blantyre, seconde ville du pays, reclama que son dialecte jouisse du meme statut de langue officielle que le chichewa, langue du Nord, les gens menacerent tout ceux qui habitaient Blantyre et qui ne parlaient pas la langue locale de les massacrer s’ils ne quittaient pas la ville. S’il s’agissait de son voisin ou d’un ami, on envoyait hypocritement quelqu’un d’autre faire le sale boulot. Pourtant, face a l’etranger, les gens sont Africains avant d’etre Malawien, Zambien, Zimbabwien... On parle de l’african way of live, african music, african spirit, african man, african queen.... bref Africa United ! Et ce sentiment, tres fort et bien enracine, n’est certainement pas a sous-estimer...

jeudi 4 octobre 2007

World Trip # 10: Afrique du Sud (Part I)

Une fois la frontiere sud-africaine franchie, on passe de l’autre cote du mirroir et l’infrastructure change du tout au tout : ce ne sont plus des routes defoncees ou des pistes poussiereuses, mais des autoroutes ; ce n’est plus la brousse, mais des elevages de vaches, d’autruches, de moutons ; ce ne sont plus des tacots rafistoles mais des voitures modernes au sens ou nous l’entendons habituellement, a savoir, avec encore toutes ses vitres, ses portieres, des pneus non lisses, qui demarrent sans devoir etre poussees, d’un modele post-mathusalem, bref une voiture (!incroyable !) ; on ne parle plus de nsima, mais de pape (ce qui decrit mieux la chose), on ne parle plus de mzungus mais de whites et non-whites...

Puncque me dit qu’on doit certainement traverser un Parc National parce qu’il y a des chevaux sauvages ; je lui pointe du doigt les clotures en lui expliquant que dans les pays developpes, contrairement au Malawi, les chevaux ont ete domestiques depuis belle lurette. On interprete effectivement toujours ce qu’on observe en fonction de ce qu’on connait...
On s’arrete a une station essence, et je deviens un gosse devant son sapin de noel a la vue des rayons achalandes. Apres plus de deux mois de Malawi, je retrouve l’abondance et la variete de choix auxquelles on est habitue. J’ai une envie boulimique de tout acheter : chips, chocolat, creme glacee qui ne me tenteraient pourtant pas habituellement. Finalement, je me rabats sur une boite de jus de fruit qui couterait les yeux de la tete au Malawi, et un paquet de chips que Puncque goutera pour la premiere fois de sa vie.

On roule encore 7 longues heures et traverse la capitale Pretoria avant d’arriver a Johannesburg, Jo’burg comme on dit ici.
Sur le chemin, a l’ecart des villes propettes a l’americaine, se vautrent des especes de ghettos a l’americaine eux aussi, mais du sud cette fois ; sorte de favellas africaines, faites entierement de toles enchevetrees, noyees dans la gadoue et la crasse quand il pleut.
« South Africa is the country where the first and the third worlds live together ». mais ce genre de 1/3 monde, la derniere fois que je l’ai vu si miserable, c’etait en arivant en train a Bombay, ou les gens vivent au sommet des decharges publiques. Est ce lorsque ce 1/3 monde rencontre le monde economiquement developpe qu’il perd sa dignite ?

Mon premier constat ne fera que se confirmer par la suite ; dans ce pays, les classes economiques ne se melangent pas. Haussmann ou son equivalent ne son pas passe par ici. De maniere simplifiee ; l’elite vit dans des villas spacieuses et confortables entourees de la replique du mur de Berlin avant sa destruction ; des grillages ou des briques surmontees de barbeles et, comme si cela ne suffisait pas, de clotures electriques. Des milices privees patrouillent leur quartier, et chacun affiche de facon bien visible « armed response », ou parfois meme des messages aussi accueillants et chaleureux que « If you go beyond this gate, we’ll shoot you, and if you’re not dead the first time, we’ll shoot you again. » Gloops... La classe moyenne et relativement riche vit dans des cites construites par le gouvernement qui a certainement du s’inspirer des bavures architecturales de l’ere communiste ; sortes de rangees monotones de maisons identiques et impersonnelles. Les plus pauvres vivent dans des maisons ou avoir l’eau et l’electricite fait figure de luxe. Les moins chanceux vivent dans des dortoirs ou dans la rue... Il existe evidemment aussi une correlation assez forte entre la couleur de peau et le type d’habitat, je laisse deviner dans quel sens....
Je ne vais pas dire que je n’ai vu aucun noir rouler dans une grosse bagnole, mais je n’ai vu aucun blanc rouler dans autre chose qu’une grosse bagnole. Par contre, tous les homeless que j’ai croise etaient blancs. Ce qui pourrait s’expliquer par le fait que dans la culture noire africaine, le sens de la solidarite et de la famille est tres forte, et on ne laisse pas un « brother » dans la rue...

Arrives a Jo’burg, nous avons ete accueillis par les deux superbes demi-soeurs de Puncque : Tamala et Taonga qui vivent dans un appartement qu’elles partagent avec une mere celibataire et sa petite fille de 2 ans. C’est le choc des cultures : il y a deux jours a peine je cuisinais par terre chez leur propre grand-mere au feu de bois ; chez elle, je retrouve toute la modernite occidentale ; dvd, tele, four micro-ondes, four et taques electriques, douche chaude, baignoire, machine a laver...
Taonga etudie la medecine, Tamala le droit.
Alors que Thokozani, leur soeur au sens africain, porte un tissu traditionel noue autour de la taille, des chaussures rafistolees et un t-shirt recupere pour tout habit ; que Puncque possede en tout 2 jeans et 3 t-shirts achetes d’occasion ; Tamala et Taonga sont deux veritables filles de l’epoque moderne, fashion victims, qui mettent litteralement 2 heures pour s’habiller, se maquiller, se coiffer, et meme se brosser les sourcils... elles possedent un laptop et des GSM high-tech. Je me sens moi-meme clodo avec mes vetements chiffones dans mon sac a dos, mais c’est surtout le contraste avec le Malawi qui me saute aux yeux !
Puncque n’eprouve absolument aucune forme d’envie ou de jalousie, il est juste inquiet du fait qu’elles preferent prendre un taxi plutot que de marcher, ou acheter des plats a emporter plutot que de cuisiner. La paresse les guette, et dans son monde a lui, etre paresseux equivaut a des difficultes pour trouver l’argent necessaire pour survivre. Pourtant l’avenir leur sourit ; je les imagine tres bien riches chirurgienne et avocate avec femme de menage a domicile, mais je prefere me taire, cela ne me regarde nullement.
Quand je discute avec elles, il est tout a fait clair qu’elles n’ont plus rien a faire au Malawi qui leur est devenu etranger.

Je propose d’aller prendre un verre en ville, histoire de voir Jo’burg by night, et on me regarde comme si j’etais atteinte d’une crise de folie passagere. L’Afrique du Sud, et Jo’bug en particulier sont reputes dangereux ; a tort ou a raison, le pays entier semble souffrir de paranoia surinfectee. Sortir le soir equivaudrait a se faire d’office attaque et vole, viole peut-etre, tue sans doute. La vie quotidienne des deux soeurs se resume a l’universite, l’etude, la tele, dormir. On ne sort pas avec ses amis le soir, on leur parle par telephone, c’est plus sur.
Bon, bon...de toutes facons, la fatigue s’empare de moi et je m’endors devant la tele dans le canape.
Le lendemain matin, apres une bonne nuit de sommeil, je suis prete a arpenter la ville de long en large... Tamala, qui est en conge, se propose de nous accompagner mais elle n’a aucune idee d’ou nous emmener puisqu’elle ne sort jamais de chez elle a part pour se rendre a l’unif ; ce serait du suicide. Bon... Je propose le centre-ville puisque je ne connais rien non plus. Ah non ! plus personne ne se ballade dans le centre ville, meme les societes demenagent leurs bureaux en dehors de Jo’burg pour proteger la vie de leurs employes ! Ok... je propose de partir de chez elle et se ballader au hasard... Ah non ! Elles habitent certes un quartier residentiel, mais a quelques rues de la se trouve Hillbrow, un des quartiers les plus dangereux, car peuple (dixit Tamala) d’etrangers, principalement nigeriens. Je me retiens de constater tout haut que parmi nous, aucun n’est natif sud-africain non plus, mais je prefere garder ca pour moi...
Il est vrai que le Lonely Planet lui-meme conseille de ne pas consulter la rubrique des faits divers sous peine de crises de panique immediates, mais je commence serieusement a souffrir de claustrophobie, et m’agacer de cette vague de psychose. Je ne suis certainement pas venue jusqu’ici pour m’enfermer dans un appartement ; si tous les touristes se faisaient egorger, ca se saurait ! Puncque decide alors d’appeler Chimwemwe, un de ses demi-freres qui vit aussi a Jo’burg pour lui demander conseil. Reponse immediate : une blanche qui se ballade avec deux noirs dans ce pays ? Quasi improbable, vous allez tout de suite etre reperes comme des touristes et vous faire aggresser !
Je pensais avoir vu a la une de tous les journaux il y environ 13 ans que c’etait la fin de l’apartheid... me serais-je trompee ? Force sera pour moi de constater que le chemin vers l’egalite et la mixite est encore bien long...
Mon dernier espoir pour pouvoir sortir de cet appartement vient donc de s’evanouir. J’ai du mal a croire la description qu’on me donne des ballades dans Jo’burg, aussi dangereuses que de sortir de la zone verte a Bagdad... Tant pis, seule ou pas, je prends un taxi ! Finalement Chimwemwe se propose de jouer notre garde du corps pour l’apres-midi.
On prend les mini-bus prives qui sont les versions modernes des taxi-brousse, dans lesquels on ne s’entasse plus a 27, mais on voyage a 15. Dans la gare de bus, je suis la seule blanche, et les conducteurs m’interpellent en me criant des choses en zulu que je n’ai pas trop envie de comprendre. Chimwemwe me rapelle sans arret a l’ordre des que je fais mine de m’eloigner trop loin. On s’arrete a Hillbrow pour changer de bus, et sincerement, je ne sens aucune menace. On se ballade dans le centre ville qui est, il est vrai, un no-man’s land traverse d’autoroutes, et sans interet. Je serais presque tentee de dire que l’entierete de Jo’burg n’a aucun interet, et fait penser a une ville du fin fonds des Etats-Unis avec des immeubles aussi insipides que les chaines de restaurant qu’ils abritent, les memes grosses bagnoles, la meme proportion de gens obeses... la salete en plus...
La seule chose qui rapelle qu’on est en Afrique du Sud, et non pas au pays de W est le nombre impressionant d’hommages rendus a Mandela : la rue Mandela, le pont Mandela, le mall Mandela, le parc Mandela, la bibilotheque Mandela, etc. Comme si le nombre de monuments publiques portant son nom devait egaler le nombre de jours que comptaient ses 27 annees d’emprisonnement... Ce ne sera de toutes facons jamais suffisant pour reparer cette injustice..
A la fin de la journee, Chimwemwe nous invite a boire une biere ; on se rend au dernier etage de ce qui ressemble a un centre commercial desaffecte, et entrons dans un bar-discotheque desuet ou je suis a nouveau la seule blanche. Puncque et son demi-frere discutent avec John, leur cousin qui se trouvait justement la, Tamala passe son temps a envoyer des sms, et reve de rentrer parce qu’elle se sent mal a l’aise, moi je discute de Jo’burg avec le proprietaire des lieux qui m’explique qu’il n’y a aucune de ses proches connaissances qui n’ait jamais ete au moins aggresse une fois pistolet sur la tempe ou couteau sous la gorge...

Ce qui m’aura finalement plu a Jo’burg, est la visite du genial musee de l’apartheid, hommage a la memoire mais aussi a la reconcialiation. J’y apprendrai que les camps de concentration sont une invention britannique a l’epoque de leur guerre contre les Boers vers 1900, qu’une proportion non negligeable de blancs ont aussi lutte contre l’apartheid au peril de leur vie (ouf ;-)), j’y visionnerai des interview de Botha, dernier president avant De Klerk (qui libera Mandela ; plus du a la pression interne des emeutes issues de Soweto, et a la pression internationale, que par veritable compassion). Ce dernier declarait, sans honte aucune, qu’il exercait une mission difficile qui etait celle de tuteur de cette population noire, incivilisee, comparable a des animaux, incapable de penser pour elle-meme. Sans les blancs, les noirs seraient d’apres lui voues a leur propre destruction car incapables de s’assumer seuls... (Je m’attendais a ce qu’il propose qu’on le canonise a la fin de l’interview, mais il n’a pas ete jusque la... meme s’il en etait proche...), et j’en deduirai une ebauche d’explication sur la violence actuelle...
Quelqu’un me disait d’imaginer un chien enrage qu’on aurait tenu en laisse trop longtemps et qu’on lache dans la foule... je me refuse toutefois d’imaginer que cela soit lie a la pure vengeance...
Je suppose que tout le monde aujourd’hui connait les atrocites de l’apartheid ; l’emprisonnement et la torture des opposants au regime ou de tous ceux qui osaient avoir des relations inter-raciales trop proches ou intimes, les couvres-feu des 6h du soir pour les noirs, les services publics separes et reduits pour les noirs, l’interdiction d’acces a la politique et a une longue liste de professions, l’absence d’hopitaux decents pour les noirs, la redistribution de 87% du territoire aux 25% de blancs, ainsi qu’un systeme d’education mediocre pour les noirs, decision du gouvernement blanc pour se proteger contre toute forme d’opposition intellectuelle, et leur enlever tout espoir d’occuper des postes a responsabilites.
Le resultat aujourd’hui, c’est un manque cruel de main d’oeuvre qualifiee, un chomage galopant de 40%, et une majorite de sud-africains qui n’a pas eu access a une education decente, et qui ne parvient pas a concurrencer les Africains affluant par vagues de tout le continent, et prets a accepter n’importe quel job, a n’importe quel prix, et vivre dans des conditions deplorables. Vous ajoutez a cela une culture de ghettos, une apartheid terminee en theorie, sous-jacente en pratique, et surtout la vente et location d’armes libres (vous pouvez louer un flingue pour une heure, le temps d’un car-jacking !) ; et cela donne une violence et une criminalite incontrolable. Il faudra sans doute plusieurs generations pour resorber le probleme...

Ce qui m’amusera a Jo’burg comme pendant tout notre sejour en Afrique du Sud (et qui s’averera egalement didactique) est de voir Puncque decouvrir certaines choses comme si on l’avait parachute dans « retour vers le futur », un bon de quasi 50 ans en avant... L’observer prendre un escalateur pour la premiere fois de sa vie, s’angoisser de prendre l’ascenseur pour la seconde fois de sa vie, le voir regarder la machine a laver pendant 10 minutes pour comprendre comment ca fonctionne, l’accompagner pour son premier film au cinema (il n’existe absolument aucune chose qui s’apparenterait a un cinema dans tout le Malawi), lui montrer les modeles de voitures qui arriveront dans 10 ou 20 ans en piteux etat dans son pays, ou les Porsches et BMW qui n’y arriveront jamais.... Quand on mange a l’exterieur, je me vois chaque fois obligee de commander pour lui en fonction de ce que je connais des gouts au Malawi ; pour lui, des pates au pesto ou une salade au saumon fume sont sans doute plus exotiques qu’auraient pu etre les mouches du lac en sauce pour moi... Tamala, de son cote, ne comprend pas comment on peut encore vouloir manger du nsima... Le frere et la soeur vivant pourtant sur le meme continent...

On quittera finalement Jo’burg apres seulement trois jours et sans grands regrets pour Durban...