mardi 19 février 2008

World Trip # 25: Tibet, colonie chinoise ensanglantee (part III & last: sad conclusions)

Preacher man, don’t tell me, heaven is under the earth.
I know you don’t know what life is really worth.

Its not all that glitters is gold; half the story has never been told:
So now you see the light, stand up for your rights

Most people think, great God will come from the skies,
Take away everything and make everybody feel high.


But if you know what life is worth, you will look for yours on earth:

And now you see the light, you stand up for your rights.


Bob Marley and Peter Tosh, 1973.

On est le 31 décembre, ce soir, même si je n'ai pas vraiment la tête à ça, c'est réveillon! On est au milieu de nulle part, on va donc devoir s'improviser une petite fiesta avec ce qu'on a à portée de mains... pas grand-chose.

Passant par hasard devant un magasin de spiritueux, je rentre acheter une bouteille pour trinquer avec mes acolytes. Tout étant en chinois, j'attrape celle qui me parait avoir le plus bel emballage. Mes goûts esthétiques sont certainement à remettre en question: ce fut un infâme brandy asiatique à 58 degrés qu'on digérera, et re-digérera pendant plusieurs jours...

Tenzin nous a réservé une table dans un restaurant du coin. Diner de réveillon : boudins d'intestins de mouton et poumons de yack grillés. Je serai la seule à terminer le plat quand les autres se seront aperçus que, non, il ne s'agissait pas de champignons... burp...

Suite du programme : la discothèque locale tibétaine et ses danses traditionnelles.

Entre chaque performance, un monsieur loyal, avec un faux air de "Star'Ac" et un enthousiasme qui dénote de l'atmosphère ambiante, introduit le spectacle suivant. Le public tibétain, extrêmement pudique et plein de retenue, reste totalement impassible. Qu'à cela ne tienne, avec Karen, l'Allemande, on décide de mettre un peu d'ambiance en se ralliant aux danseurs sur le devant de la scène. On sera aussitôt rejointes par Sebastian et Renato en furie, … et pas une seule esquisse de sourires des spectateurs.

Quand le présentateur, manifestement sous amphet's, réapparait, il doit être en train de parler de nous car on se fait chaleureusement applaudir par la salle.

Ouf ! Un moment, je suis dit qu'avec mes conneries, tout ce que je serai parvenue à faire sera de les choquer, ou bien pire les insulter !

Il fait toujours aussi froid, et même ici c'est pas la peine d'espérer le moindre chauffage.

C'est la première fois de ma vie que je me retrouve en discothèque habillée de trois couches de polaires et bonnet à commander, via Tenzin, verres d'eau chaude après verres d'eau chaude apportés par des serveuses en mini-jupe et T-shirt moulant. Je ne sais pas si ce sont elles et le présentateur, ou bien les clients qui se sont trompés d'endroit, mais il y a un certain décalage que je ne saisis pas...

Je me rends au bar demander, seule et téméraire cette fois, mon 53ième verre d'eau chaude. Le barman ne comprend évidemment rien de ce que j'essaye de commander. Bientôt, c'est tout le staff qui vient m’entourer pour tenter de deviner ce que je veux, complètement hilare. Comment expliquer « verre d'eau chaude » par des gestes ? Tout ce que je peux faire est rire avec eux de moi-même, et repartir bredouille.

Je profite de mon escapade pour faire un détour par les toilettes; tout aussi traditionnelles que les danses : une pièce avec 3 trous creusés les uns à côté des autres. L'un d'eux est occupé... ooops... sorry... La fille me sourit et me fait signe de rentrer.. Ce sera la première fois de ma vie aussi que je me retrouve à uriner en groupe... La pudeur tibétaine est ailleurs et ça doit faire partie de mon apprentissage de la culture locale j'imagine....

Retour dans la salle. C’est au tour du public de danser. Les spectateurs, tous en anorak, envahissent la scène, et c’est parti pour quelques pas de danse régionale !

On tourne en cercle en croisant et décroisant les jambes, sorte de sardane tibétaine.

J’interromps quelques personnes pour leur demander de me montrer comment faire, mais chacun prend ça très au sérieux, et visiblement je les déconcentre ! Désolée, j’ai compris ; je vais me contenter d’imiter en cessant de les perturber…

Fin de la musique, tout le monde rejoint sa place calmement et silencieusement, et les danseurs professionnels reprennent possession de la scène. Les Tibétains ont décidément une conception très particulière de ce qu’est sortir danser en boite!

On rencontre un autre groupe de voyageurs et se joint a leur table. Leur guide est assis à mes côtés. Je suis en train de lui parler lorsqu’il s’écroule soudainement de sa chaise complètement ivre… Ok, il a probablement raison, il est l’heure de rentrer…

A notre hôtel, on a enfin une douche... d’eau froide, mais une douche ! J’en profite le lendemain pour me laver les cheveux ; cette fabuleuse idée me vaudra une superbe coiffe de stalactites qui ne dégèlera pas de la journée…Dreadlocks de glace a la tibétaine.... Yeah Man !


On s’approche de Lhassa, la route qui serpente les montagnes devient moderne et praticable.

Moi, le visage collé à la vitre, j’ai le vague à l’âme… des massacres et des horreurs plein la tête... Je suis en train de me demander combien de familles tibétaines ont été réquisitionnées, combien ont souffert, combien ont péri pour construire cette putain de route sur laquelle je suis en train de faire ma putain de petite ballade touristique…

Dans la jeep, on n’arrête pas de me demander ce que j’ai..

Mais bordel!!! A-t-on vécu la même chose ? A-t-on vu le même Tibet ? J’ai pas simplement cauchemardé... comment cela se fait-il que cela ne leur saute pas aux yeux ? Suis-je trop sensible ? Ont-ils perdu leur humanité ? Suis-je trop émotive ? Trop bouleversée ? Le monde tourne t-il réellement rond ?

Qu’est ce que j’ai ? Existent-ils des mots assez forts pour leur dire ce que j’ai ? Si oui, j’ai beau les chercher, je ne les trouve pas… alors comme beaucoup (trop), je préfère encore me taire: nothing, I’ve got nothing…

Arrivée à Lhassa, tout le monde est profondément déçu par la modernité et la pollution de la ville. De l’ancienne capitale tibétaine ne subsiste réellement que le Potala perdu au milieu du trafic. Qu’est-ce qu-ils s’imaginaient ?


Pendant tout ce voyage, dés que j’en ai eu l’occasion, j’ai rejoint Tenzin et nos chauffeurs tibétains pour les assommer de questions sur le Tibet. Quand j’ai demande à Tenzin ce qu’il pensait que nous, Occidentaux, on pouvait faire pour changer la situation, il m’avait répondu : « Je ne sais pas Gaele, poste nue devant le Potala avec une pancarte « Free Tibet » ».

S’il savait a quel point je mesure l’amertume qui se cachait derrière cette réponse narquoise… et encore, qui suis-je pour prétendre être en mesure de comprendre une seule once de son amertume ?

Le lendemain, ambiance d’excitation pour la visite du Ô combien énigmatique et fantasmagorique Potala. On sera parmi les derniers à le voir en entier ; en mars, les autorités chinoises vont fermer définitivement sa partie supérieure.

Moi, je ne me sens pas à l’aise. Je me demande ce que je fais là à payer une entrée au gouvernement chinois pour visiter des lieux qu’ils ont effectivement envahis, mais qui ne leur appartiennent pas…
Des lieux qu'ils exploitent et rentabilisent avec mon aide.

Et comme une petite conne, je suis le troupeau. Et on peut parler de troupeau ; des hordes de touristes bruyants et imposants, pour la plupart Chinois en terre conquise, entre lesquels se faufilent difficilement et discrètement des pèlerins tibétains.

Mais bon sang, laissons les en paix !!
Laissons leur au moins le droit de venir méditer, dans le calme et la sérénité, dans cet asile qui fut jadis le leur!! Pardon qui est toujours le leur...

Qu'est ce qui leur reste? Qu'est ce que les Chinois leur ont laisse?

Qu’est ce que je fous ici à photographier ces vestiges dont j’ai l’impression de violer l’intimité et salir la mémoire ? Les Chinois ont chassé le propriétaire, on piétienne sa maison.

Plus aucun «Tashi delek », j’ose même plus croiser le regard des Tibétains… Que pensent-ils de moi? Que je cautionne tout ça?

Tout ce qui reste du pouvoir tibétain au Tibet, c'est pas grand chose; un musée envahi de touristes en tongs en été, et beaucoup, beaucoup de soldats chinois dont la présence m'indispose.

Je ferai l'effort de suivre la visite en entier, même si je ne rêve que d'une chose, c'est de m'enfouir en courant! Par respect pour Tenzin, dont je n'arrive pas à transpercer les pensées, et qui joue son rôle de guide jusqu'au bout.
Que cache son regard? De la fierté de pouvoir nous montrer la richesse culturelle de son peuple? De la rancœur? J'imagine qu'il espère aussi nous faire prendre conscience à quel point les Chinois ont torpillé son pays... mais moi, je suis au bord de l'indigestion....

Tenzin, probablement conscient de mon inconfort, ne cesse de venir me demander ce que je ressens en voyant le Potala…. De la tristesse, Tenzin, énormément de tristesse…
De la honte aussi, mais je ne lui dirai pas.

Dans le Potala, aucun portrait, aucune référence, aucune mention du 14ième et actuel Dalaï-Lama; il n’existe plus, il a été effacé, tout simplement éradiqué par la censure chinoise.

D’après Tenzin, celui-ci aurait annoncé qu’il ne se réincarnera pas en Tibétain, mais aura les yeux bleus et les cheveux couleur or. Une façon déguisée de dire qu’il n’y aura pas de 15ième Dalai-Lama en terre tibétaine tant que celle-ci restera chinoise. Certains disent aussi qu’il sera le dernier. A sa mort, une page de l’histoire sera définitivement tournée. La Chine pourra continuer d’écrire seule la suite…

Lors d’une de mes nombreuses conversations avec Tenzin, il m’a expliqué que les jeunes générations ne parlent plus tibétain. Ils veulent tous devenir comme les Chinois parce que les Chinois veulent eux-mêmes devenir comme tout le monde, c'est-à-dire le parfait petit Occidental capitaliste, un GSM dernier cri à la main, la télécommande sur MTV dans l’autre.

La Chine a entamé sa dernière phase de conquête ; elle aspire le Tibet de l’intérieur, et il n’y a aucune possibilité de marche arrière…
Surement que la perte de la culture tibétaine se serait de toutes façons produite nonobstant la Chine…Avec combien de massacres en moins ?


L'après-midi, Tenzin tout excite me demande de pouvoir me parler en apparté. Il m’explique que Sebastian et Renato lui ont promis de lui procurer de faux documents pour le faire sortir du pays, et veut savoir ce que j’en pense… Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ?? Je lui réponds que d’après moi c’est impossible, ou si c’est possible, cela ne se fait pas aussi facilement en une nuit. « C’est bien ce que je pensais » me répond t-il, avant de me tourner pudiquement le dos plein de tristesse et déception…

Croyant à une (très) mauvaise plaisanterie, je vais trouver Sebastian et Renato qui m’expliquent qu’ils connaissaient des officiels qu’ils pourraient soudoyer pour obtenir un faux passeport argentin. Super ! Et ils le font sortir comment du pays ? Il est fiché maintenant. A pied ? Via l’Inde, le Népal ? En tant que Tibétain, Tenzin n’a de toutes façons pas droit à des documents de voyage ou très difficilement. Et si oui, comment expliquer qu’un « Argentin » quitte le Népal ou l’Inde sans même un visa d’entrée sur son passeport tout neuf ? Et son père ? « On a pas réfléchi à tout ça… ». On essaye d’élaborer des solutions a 3, que des voies sans issue… la Chine est une immense prison.

Se rendent-ils seulement compte a quel point c’est cruel de faire croire à ce genre de promesse ?


On passe toutes nos dernières soirées ensemble a Lhassa dans le seul bar ouvert à cette saison non touristique. Gustav, le Suédois, a emporte sa guitare qu’il gratte chaque soir pendant que Renato, Alexandre, Fernanda et Joyce, les Brésiliens nous chantent des ballades d’Amérique latine. Pour remercier Tenzin, on lui a offert mon bouquin du Dalai Lama qu’on lui a tous dédicacé, avant que le groupe ne se disperse, chacun partant vers sa prochaine destination.

Il ne reste bientôt plus que Sebastian, attendant son train, et moi, mon avion.

Sebastian va partir dans une ville chinoise ou il va enseigner le yoga pendant quelques semaines (ce devait être quelques mois, mais j’apprendrai de lui plus tard que les autorites chinoises n’ont jamais voulu renouveler son visa) pour le compte d’une Chinoise rencontrée en Thaïlande. Quand Sebastian lui a téléphoné de Lhassa pour lui dire quand il arriverait, et lui décrire dans le flot de la conversation la situation au Tibet, elle ne savait pas de quoi il parlait… Elle qui voyage et a donc accès a l’information extérieure, s’y intéresse t-elle maintenant ?

A deux, on peut partager les frais d’hôtel… On s’est donc offert le luxe d’une chambre avec chauffage et douche chaude que je ne parviens plus a quitter. A l’extérieur, le froid est une torture à lui tout seul.

On passe nos journées, emmitouflés comme des momies dans nos couettes respectives, à regarder la télévision chinoise ; que des feuilletons ou jeux stupides à l’américaine, entrecoupés de propagandes à la gloire de Mao, et spots publicitaires pour les Jeux Olympiques. C’est d’un ennui tel qu’on coupe le son, et on s’amuse à refaire les dialogues a deux… c’est bien plus drôle, et je dois dire que Sebastian a un véritable talent pour ça !

La veille de mon départ, ayant fait part a Tenzin de mon désir de léguer mes 5 kilos de vêtements chauds à quelqu’un à qui cela puisse vraiment profiter, il nous emmène, Sebastian et moi, dans un orphelinat tibétain. Les petits kets, âgés de 3 à 15 ans y dorment a trois par lit. Le gérant de l’orphelinat refuse le moindre centime du gouvernement, et parvient à faire vivre la cinquantaine de rejetons par des donations. Ça n’empêche pas l’orphelinat d’être tapissé de drapeaux chinois et portraits des dictateurs au pouvoir (sans oublier Mao, évidemment), sans quoi, les autorités feraient fermer les lieux.


Le soir de nos adieux à 3, Tenzin me dit que c’est maintenant a son tour de me poser une question : « Gaele, quand crois-tu que le Tibet sera libre?»

Si je m’attendais a ca ! Question O combien difficile, mais a laquelle je m’efforce de répondre avec toute franchise...

Je lui réponds que je ne sais évidemment pas, mais qu'étant donne le pouvoir économique de la Chine, aucun de nos lâches petits États occidentaux n’aura les épaules suffisamment larges que pour dénoncer fermement les massacres, ... et surtout faire plus qu'adopter de belles résolutions qu’on oublie aussi vite que celles faites au Nouvel-An.

Que d’après moi, le seul espoir vient de l’ouverture économique de la Chine, en espérant que cela conduise le peuple chinois à pouvoir changer de gouvernement, et oser lever les yeux sur ce qu’ils ont fait…

Mais d’ici la, la population tibétaine sera complètement modelée à l’image de la Chine, sera devenue chinoise à part entière, et il sera trop tard…

Le Tibet est déjà mort, et il n’y a, d’après moi, aucun espoir de le voir ressusciter.

Ça ne nous donne néanmoins certainement pas le droit de fermer les yeux, et encore moins d’accepter…

Tenzin, pensif, acquiesce silencieusement. C'est la réponse à laquelle il s'attendait mais qu'il aurait préféré ne pas entendre...

Le Tibet d’avant 1950, et son peuple toujours aussi extraordinaire, resteront sans doute à tout jamais un conte quasi imaginaire que je raconterai à mon filleul… et à mes enfants.

lundi 18 février 2008

World Trip # 24: Tibet, colonie chinoise ensanglantée (part II)

[...]
Emancipate yourselves from mental slavery; none but ourselves can free our minds.

Have no fear for atomic energy, 'cause none of them can stop the time.


How long shall they kill our prophets, while we stand aside and look?

Some say it's just a part of it: we've got to fulfill the book.


Won't you help to sing these songs of freedom?

'Cause all I ever have: Redemption songs.

Redemption songs...

Bob Marley, 1980


Lever 4 h du matin, départ en bus pour la frontière tibétaine avec le groupe que je ne serai plus autorisée à quitter d'une semelle pendant 8 jours.

Tout le monde est à moitie endormis, emmitouflés dans ses couvertures en laine de yack. Je ferais bien de même si Malcom, l'Anglais, ne s'obstinait pas à me faire la conversation.

Malcolm a passé la soixantaine. A pas même 50 ans, il s'est dit "J'ai fini d'élever mes enfants, avec une maigre retraite, je pourrais partir voyager dans les pays d'Asie bon marché, donc, pourquoi ne pas arrêter de travailler?".

Question qu'on se pose tous,… sauf qu'on ne décide pas tous d'arrêter effectivement de travailler. Bien vu Malcolm!

Arrivée fin de matinée au "friendship bridge", on est 13, et personne ne s'est encore réellement adressé la parole; apparemment tous aussi ravis que moi par l'idée de voyager en régiment…. Quelque part, c'est bon signe!

Notre bus doit s'arrêter pour cause d'embouteillage à plus d'un kilomètre du poste frontière; devant nous, c'est un enchevêtrement de camions et voitures. On traverse donc difficilement à pieds et sac au dos un flux chaotique de transhumance humaine ; les Népalais débarquent en masse pour faire leurs emplettes de produits chinois moins chers.

J'observe avec découragement les 500 mètres de file de personnes attendant debout sous le soleil… depuis combien d'heures?... quand quelqu'un m'avertit qu'il y a une queue pour les Népalais, et une pour les autres. Ouf!

On passe devant… gênée quand même de profiter d'un avantage purement lié à ma nationalité (comme si c'était le seul…), tout ce que je trouve à faire est un petit signe idiot de la main "Désolée les gars!"…

Questionnaire médical. On n'entre pas en Chine malade; si on vous trouve le teint un peu pâlot, vous passez directement pour un check-up chez l'officier-médecin.

J'étouffe ma toux tenace et offre mon plus beau sourire…. C'est bon! J'ai mon cachet sur mon permis officiel!

Du côté tibétain nous attendent nos 3 jeeps. On nous demande de choisir nos compagnons de voyage… Ce qui m’est égal, vu que je connais personne!

Et 6ième sens aidant sans doute, on formera de façon naturelle, ou plutôt surnaturelle, un groupe de 6, pour s'apercevoir qu'on est tous les 6 des voyageurs de longue durée solitaire… on a dû le sentir.

Maintenant, va arriver le moment de vérité: avec de tels tempéraments, et l'obligation de vivre en promiscuité si longtemps, on va soit vite se détester, soit s'adorer.. et heureusement, ce fut la seconde alternative qui s'imposera. Après 8 jours, à Lhassa, enfin libres pourtant de nos mouvements, on était devenus inséparables!

Il y a moi; Malcolm, déjà présenté; Stacy, la Canadienne, maquilleuse de Top-Models, en pause et fuite sentimentales d'un an d'avec son boyfriend; Kathryn, l'Australienne, future Ingénieure, en pause académique pour voyager; Kiev, ancien trader à Londres qui planifie de s'installer au Japon ou en Australie au terme de son année de voyage. Pour y faire quoi? Je t'en pose des questions moi?!; et Sebastian, l'Argentin, ancien professeur de Yoga à Buenos Aires, il enseigne maintenant au fil de ses rencontres, s'installe, et puis repart, sans cesse…

On fait dans la foulée la connaissance de notre guide; Tenzin, que l'on rebaptisera définitivement Matrix car toujours habillé de noir et perfecto.

Tenzin est Tibétain: une chance inouïe; on aurait pu se coltiner les explications censurées, ou au mieux édulcorées d'un guide chinois!

Tenzin a la vingtaine et est orphelin de mère; cette dernière étant morte en Inde après avoir accompli le rêve de sa vie; rencontrer le Dalaï-lama. Le voyage, à pieds, l'a mortellement épuisée.

Tenzin rêvait de devenir médecin, il est devenu guide. Médecin est un métier trop ambitieux pour un Tibétain. Il a passé une année de sa (encore courte) vie en prison pour le tatouage qu'il porte sur l'épaule droite: "Clean Tibet".

Il rêverait de vivre ailleurs, n'importe où, mais ailleurs; les autorités chinoises en ont décidé autrement et l'ont menacé de faire croupir son père pour le restant de ses jours en prison si elles apprennent qu'il a quitté le territoire.

Arrivée dans la première grosse ville, Tenzin nous propose de changer le programme et rester dormir sur place car il y fait moins froid qu'en altitude.

On dort en dortoir. Pas la peine de chercher la douche, il n'y en a pas; pas la peine de chercher la chasse, il n'y en a pas; tout simplement pas la peine de chercher l'eau pour se brosser les dents, il n'y en a pas.

Je me rends sur Internet essayer des sites aussi innocents que Facebook ou d'informations: censurés. J'apprendrai plus tard d'un Américain comment contourner les interdits via des sites pirates.

Rentrant bredouille de ma pêche infructueuse aux e-mails, je me fais happée par un jeune type. Je baisse la garde quand je vois qu'il tient dans ses bras un adorable bambin de 2-3 ans. Il me propose de venir m'assoir à côté de lui pour papoter… J'ai rien à perdre, je m'exécute.

Il est Tibétain, chauffeur de camions, et m'explique à quel point la vie est difficile depuis que les Chinois ont pris possession de la ville qu'ils dominent désormais à 98%. C'est aussi à eux qu'appartiennent tous les business. Il me relate, comme toujours malheureusement, les horreurs chinoises. Enfant, il vivait dans un village caché dans les montagnes. Un jour, l'armée chinoise a débarqué, détruit son modeste petit monastère, et s'est approprié les maisons adjacentes. Quelques-uns ont résisté…pas longtemps… le temps que prend une mitraillette chinoise pour se mettre en action quand on appuie sur sa gâchette. Son père fut de ceux-la : Résistant 15 minutes avant de s'écrouler mort.

On parle avec tristesse une bonne heure de la situation du Tibet lorsque son visage s'obscurcit davantage; deux Chinois se sont arrêtés à notre hauteur, et sont en mesure d'entendre nos propos. Fin de la conversation. Je change rapidement de sujets vers des banalités, et lui fait un au revoir chaleureux.

Comme tout bon voyageur déguise toujours ses adieux en aux revoirs pour que ce soit plus supportable (j'en ai pris l'habitude maintenant), il me dit "Certainement qu'on se recroisera quand tu reviendras au Tibet, je t'inviterai chez moi et te présenterai ma famille". "Oui, j'espère qu'on se recroisera, que ton fils aura grandi et qu’il pourra me crier haut et fort qu'il vit enfin libre et en paix". Pas besoin d'en dire plus, on s'est compris.

Je ne connais même pas son prénom, ou peut-être ai-je oublié qu'il me l'a dit, mais peu importe; il est mon meilleur ami du jour, et même s'il fait froid à l'extérieur, son récit et la confiance que cela supposait de me le relater ont fait monter la température de mon cœur de plusieurs degrés Celsius... la rage aussi sans doute...

Le lendemain, on passe de moins de 3000 mètres à 5300 mètres d'altitude. Plus de 2 kilomètres de dénivelé en quelques heures, l'idée de Tenzin de loger en basse altitude n'était pas si bonne que ça...

On est 6 dans la jeep, dont 4 (moi inclus) souffrent du mal des hauteurs: migraines, nausées, toux. Je veux sortir prendre l'air frais quand je me rends compte que je ne parviens même plus à tenir sur mes jambes.

Les symptômes du mal de l'altitude proviennent d'œdèmes qui se forment dans les poumons et/ou le cerveau. J'ai du mal à respirer, et l'idée d'une poche d'eau qui envahit ma cervelle m'étouffe davantage encore.

Je fais l'effort de prendre quelques photos de ce paysage à couper le souffle (c'est le cas de le dire) avant de m'enfoncer dans mon siège car tout tourbillonne autour de moi.

On redescend vers notre prochaine destination; un autre dortoir, sauf qu'ici, outre la douche, la chasse, et l'eau, pas la peine de chercher les toilettes, c'est un simple trou creusé dans la terre.

J'ai l'impression que mon crâne va éclater en mille morceaux, mais cela ne m'empêche pas d'avoir la bougeotte et d'aller visiter la ville; toujours les mêmes artères démesurées, toujours les restaurants et magasins chinois, mais, assis en tailleur sur les trottoirs, des dizaines, des centaines de Tibétains vêtus de peaux de bête qu'on doit enjamber en train de partager le thé au beurre conservé dans des thermos de fortune. J'irais bien m'assoir avec eux si je parvenais à ouvrir les deux yeux en même temps, chose impossible tellement la lumière m'aveugle et me fait mal.

Je claquerai à nouveau des dents toute la nuit; je suis la seule à ne pas avoir emporté un sac de couchage dignes des expéditions polaires, ou plutôt de l'Everest. C'est vrai que finalement on n'en est pas loin; dans la deuxième passe qu'on a franchi, on a pu admirer son sommet. Le gouvernement est en train d'y faire terminer une quasi autoroute qui grimpe jusqu'à son camp de base pour y faire porter la flamme olympique.

Un paysage défiguré de plus pour la fierté chinoise. Bientôt, ce sera peut-être Disneyland la haut; les hordes de touristes pourront s'y faire photographier entre une flamme olympique en plastique et le portrait de Mao.

Lever très tôt, d'autant plus tôt que depuis qu'on a quitté le Népal, on s'est tous mis à l'heure de Pékin, pourtant situé à plus de 4000 kilomètres à l'Est de Lhassa.. Mais comme le restant de la Chine, le Tibet vit entièrement à l'heure du pouvoir dictatorial de la capitale chinoise. Ca vous rappelle chaque jour alors que le soleil se lève, certes toujours à l'Est, mais à passé 10 h du matin, qui tient les rennes du pouvoir....

Petit déjeuner sans surprises ; ce sera toujours le même pendant 8 jours, omelette insipide. J'ai pas l'habitude de déjeuner mais ici j'avale n'importe quoi du moment que c'est chaud…


La route est un désert de montagnes, on aurait du mal à croire que la vie existe si on ne croisait pas de temps en temps des troupeaux de yacks, et des chars du moyen-age dirigés par des Tibétains en costume traditionnel fait de peaux de bêtes et ceintures multicolores. Dés leur plus jeune age, les Tibétains ont le visage brulé par le froid, ce qui leur laisse à tout jamais des meurtrissures roses vifs sur les joues.

Notre convoi de 3 jeeps s'arrête en plein milieu de ce désert pour un besoin urgent… lorsqu'un Tibétain, surgi de je ne sais où, colle sa tête contre notre vitre. Il reste inerte plusieurs minutes à nous observer comme si nous étions des aliens débarqués tout droit de la planète Mars. N'a-t-il jamais vu d'Occidentaux ? On lui fait des grands gestes et sourires amicaux qui ne parviennent pas à générer la moindre émotion sur son visage. Veut-il de l'argent ? La réaction un peu stupide mais naturelle ; quelqu'un lui tend un billet par la fenêtre qu'il repousse immédiatement en balbutiant quelques mots… Dalaï-Lama… Il veut un portrait du Dalaï-Lama !

Personne n'est au courant de mes publications de ce dernier mises à l'index chinois, et introduites en fraude dans le pays. Je sors chercher mon sac dans le coffre d'une autre jeep ; dans un de ces bouquins il doit bien y avoir un portrait du Dalaï-Lama ! En effet, j'arrache la page et lui tend.

A la vue de ce portrait, des larmes coulent sur son visage… moi, pensant à toute la signification que cette simple photo porte en elle ici, j'ai du mal a contenir les miennes… Je lui ferais bien un grand « hug » à l'américaine si c'était d'usage dans les coutumes tibétaines, mais ce n'est pas le cas, donc je reste là, immobile, à le regarder aussi émue que lui pendant de longues secondes…

Tenzin ruine la magie du moment en débarquant furieux : « C'est bien ce que tu viens de faire Gaele, mais tu es complètement inconsciente ! Est-ce que tu sais que les espions sont partout ? Les Chinois se font parfois passer pour des Tibétains pour traquer ce genre d'infraction, même les touristes risquent gros ! ». Ok, mais si c'était à refaire, et revivre ce que je viens de vivre, je le referai sans la moindre trace d'hésitation…

Dans la voiture, les commentaires à mon égard oscillent entre les félicitations et les accusations de faire prendre risques inutiles à tout le monde.

Au stop suivant, Tenzin vient me demander discrètement : « le livre dont tu as extrait la photo, est ce que je pourrai te l'emprunter ? »…

Si je l'ai emporté, c'est bien pour ça ; une fois à la guesthouse, j'emballe donc la biographie du Dalaï-Lama de plusieurs sachets en plastique masquant sa couverture, et le remet à Tenzin aussi discrètement qu’on passerait de la cocaïne en contrebande.

Autre nuit gelée, j'ai maintenant trouvé de quoi diminuer sensiblement mon inconfort en remplissant des bouteilles en plastique de thé brulant, et en les maintenant contre moi jusqu'à ce qu'elles soient glacées elles aussi. Ma bouillotte artisanale me permet quelques heures de répit et de sommeil.

C'est une astuce que m'avait suggérée Renato, le Brésilien d'origine italienne du groupe. Renato est un personnage haut en couleurs. Il débarque tout droit de Sao Paulo pour visiter le Tibet avant de s'envoler pour de bon vers l'Irlande chercher du travail. Il ne parle pas un traitre mot d'anglais, ce qui lui vaut d'être la risée du groupe qui se paye tendrement de sa tête quand il tente vainement de baragouiner quelque chose. Le seul autre voyage qu'il ait fait était aux Etats-Unis avec son père ; ils sont restés la semaine entière dans leur chambre d'hôtel à commander des pizzas margherita par téléphone parce que c'était la seule chose qu'ils savaient dire…

A deux, on parle un mélange de français, espagnol, portugais et Sebastian qui fait la traduction. Renato veut apprendre l'anglais pour comprendre les chansons d'Elvis… si c'est pas romantique ! On a beaucoup d'affection l'un envers l'autre, et je suis impatiente de le revoir en Europe quand il parlera couramment anglais avec un accent irlandais incompréhensible.

Le lendemain, je demande à Tenzin s'il a eu l'occasion de jeter un œil au bouquin, il me répond qu'il en a fait la traduction à voix haute toute la nuit pour nos 3 chauffeurs tibétains. Je lui dit de le garder pour d'autres lectures à d'autres Tibétains; il m'explique que ce serait trop dangereux pour lui.

L'histoire est toujours écrite par les vainqueurs.

Dans les guesthouses, des piles de brochures publiées par le gouvernement à l'attention des touristes vantent les mérites de l'armée chinoise qui a « libéré » le peuple tibétain, du système éducatif de haut niveau, et de la prospérité que connait maintenant la région. Ils oublient de mentionner que cette « prospérité » ne profite qu'à l'envahisseur.

Tout ça génère des conversations entre nous le soir ; certains autres voyageurs pensent que l'invasion du Tibet n'est pas une si mauvaise chose. Le Tibet était doté d’un pouvoir théocratique féodal par le passé (chose que le Dalaï-Lama actuel s'évertue à reformer dans son gouvernement en exil), et que la région est maintenant pourvue de routes praticables et cités modernes. Pourtant, en détruisant les villes et en les reconstruisant à leur image, la Chine a aussi détruit un patrimoine de l'humanité, sans parler de l’extinction lente mais certaine la culture tibétaine...

Et puis, a t-on le droit d’envahir et s’arroger un pays parce que l'économie y est faible et/ou le pouvoir en place ne vous convient pas ? Les Américaines ne feraient ils pas quasi la même chose en Irak ? Laissons faire gaiement et sans scrupules alors !

L'après-midi, on visite un magnifique monastère dans une ville dont j’ai honteusement oublié le nom. Autrefois, 8000 moines y coulaient des jours paisibles. Ils ont été remplacés (pour la plupart tués ou emprisonnés) par 600 moines chinois payés par le gouvernement pour entretenir le show touristique.

Dans la philosophie bouddhiste, les moines ne perçoivent pas de salaires ; ils vivent d'aumônes en quémandant leur nourriture à la population. Devoir mendier pour survivre fait partie de leur apprentissage de l'humilité.

Désormais, tout Tibétain qui souhaite devenir moine se voit obliger de signer un papier déclarant qu’il refuse complètement et définitivement l'autorité spirituelle du Dalaï-Lama.

On est également loin du faste d’antan ; comme bien des monastères, celui-ci a été pillé et volé de ses statues en or (apparemment abondant au Tibet). Certaines de ces statues qui faisaient la fierté des lieux ont été remplacées par des répliques en bois couvertes de peinture métallique bon marché.

Beaucoup de familles de pèlerins tibétains viennent encore en nombre, et parfois de très loin pour se recueillir dans ce monastère – relifté façon chinoise- munis de leurs traditionnels moulins à prières.

Quand je les croise, je les gratifie du « Tashi Delek », bonjour en tibétain. Souvent surpris d’entendre ces mots de la bouche d’une étrangère (ou peut-être simplement d’encore entendre parler tibétain), ils me répondent toujours avec un sourire rempli de générosité. Parfois, ils s’approchent et me serrent très fort le bras... comme pour mieux concrétiser le lien de fraternité qui devrait relier l'humanité entière...

Pourtant, quelle désolation ! quel viol ! quelle humiliation ! Je me demande quel sentiment d’injustice ils doivent ressentir en voyant ce que sont devenus leurs lieux de culte...

Lors de la visite, je remarque qu’un portrait, une photo récente, attire une foule de Tibétains émus et recueillis. Je demande à Tenzin de qui il s’agit ; il m’explique en chuchotant qu’il fut un Lama aimé du peuple, avec un peu trop de pouvoir, et qui a été assassiné l'année dernière. L'armée chinoise l’a enfermé dans ses propres toilettes. Ayant accès a l’eau vitale, il a mis plus d'un mois pour « enfin » mourir de faim. Aujourd’hui les Chinois ont posé sa photo sur une stèle face à ces mêmes toilettes où il a agonisé, gardée de deux vigiles chinois en uniforme, pour que les Tibétains puissent venir lui rendre hommage, et s'incliner face aux tueries chinoises par la même occasion... On est au comble de l’abominable !

Je sors, j’ai la nausée, j’ai envie de vomir. Je ne parviens plus à arrêter de trembler... de rage ou d'écœurement, je ne sais plus.

Quand je rejoins le groupe, alors que Tenzin nous fournit une dernière explication sur les symboles bouddhistes, un soldat n'appréciant sans doute pas sa face de Tibétain, s’approche de lui et le bouscule violemment. Dés qu’il a le dos tourné, Tenzin lui fait un bras d’honneur. Nerveusement, notre groupe éclate de rire. Le petit con de soldillon repartira la queue entre les jambes...

mercredi 6 février 2008

World Trip # 23: Tibet, colonie chinoise ensanglantee (part I: Introduction)

[...]
Imagine there's no countries, It isn't hard to do
Nothing to kill or die for, and no religion too
Imagine all the people living life in peace...
[...]
Imagine no possessions, I wonder if you can
No need for greed or hunger, a brotherhood of men
Imagine all the people sharing all the world
You may say I'm a dreamer, but I'm not the only one
I hope someday, you'll join us, and the world will live as one.
[...]
John Lennon, 1971

Il était une fois sur un des versants du toit du monde, une langue de terre glacée, plissée en accordéon de montagnes toutes aussi hautes les une que les autres; une forêt de cimes enneigées qui paraissait s'étendre à l'infini.

De leurs sommets, on aurait pu caresser les nuages...

A une telle altitude, l'oxygène se fait rare et la respiration difficile; la terre se fait indomptable, se gerce et se crevasse en failles insondables; le froid devient vite insoutenable; et l'eau, source de vie, se coagule en glace inerte et incassable.

Cependant, perdu dans ces contrées inhospitalières et désertiques, un peuple défie toutes les croyances en ce que devraient être les conditions minimales de survie de l'espèce humaine, et est parvenu à apprivoiser les lois pourtant insoumises de la nature, vivant d'agriculture et d'élevage; donnant du relief, non pas au paysage qui n'en manque pas, mais à la vie elle-même.

Outre cette œuvre impossible, il a accompli un autre miracle, qui est celui de figer le temps, comme le froid pétrifie l'eau en glace, préservant, tel un trésor intouchable, ses traditions et sa religion bouddhiste implantée depuis le IXe siècle.

Lhassa, cite interdite surmontée du Potala a fait fantasmé plus d'un esprit d'aventurier voyageur. Dans l'enceinte de ce quasi nid d'aigle, ont régné les Dalaï Lamas successifs, vénérés par le peuple comme des Dieux vivants... Qui d'autre en effet pourrait se targuer de vivre aussi proche du ciel?

Le Tibet aurait pu être un des ces pays imaginaires qu'on décrit aux enfants avant qu'ils ne s'endorment, un havre de paix fabulé destiné à calmer les esprits torturés au moment de compter non pas les moutons, mais les yacks qui y habitent..

Pourtant, le Tibet a toujours eu une histoire tourmentée; envahi de façon perpétuelle par son géant de voisin, la Chine. Ce ne fut que lorsque que la dynastie chinoise des Quing s'effondre que le Tibet acquiert enfin son indépendance; on est en 1911, et bien des siècles tumultueux ont passé.

39 toutes petites années de répit plus tard, 80.000 soldats commandés par Mao Tse-Tung envahissent Lhassa, ce qui contraignit le 14ieme et actuel Dalaï Lama à capituler et signer un "accord de paix".


Le Tibet lança alors un appel désespéré à la communauté internationale qui restera totalement sourde...

C'est pot de fer contre pot de terre, les fusils modernes contre les lances-pierres, et la seule autre alternative qui est un bain de sang accule le "dieu-vivant" à signer cet accord, gobant d'une traite les promesses chinoises pour, espère-t il, sauver la vie de son peuple.


Cet accord, détaillé en 17 points est censé garantir l'autorité spirituelle du Dalai Lama (qui devra cependant s'exiler en Inde en 1959, en traversant à pieds le mur de montagnes himalayennes, et franchir la frontière déguisé en soldat indien), reconnaitre la religion bouddhiste (ce qui se soldera par la destruction systématique de pas moins de 6000 temples et monastères), protéger la population (ce qui voudra toutefois dire l'extermination pure et simple de 1.200.000 Tibétains, 1/6 de sa population), sauvegarder la culture tibétaine (en imposant pourtant le chinois comme langue officielle, et rendre sporadique l'enseignement du tibétain), laisser au Tibet le soin d'administrer ses relations diplomatiques extérieures (qui se gèrent aujourd'hui sous la cape, et de façon plus qu'officieuse par le gouvernement en exil), bref.. un ersatz d'Etat autonome sous l'œil (bon/mal?)veillant de la Chine!

Entre les lignes d'hiéroglyphes chinois, se cachent quelles autres atrocités? Des camps de travail, la famine (exclusivement tibétaine), une exploitation chinoise excessive des ressources minérales et naturelles (ils ne sont pas venus pour rien), une déforestation massive (le paysage n'était pas suffisamment désertique), l'utilisation du Tibet comme poubelle de leurs déchets radioactifs, et actuellement une population qui se chiffre à 6 millions de Tibétains pour 7.5 millions de Chinois (85% de Chinois à Lhassa) qui bénéficient eux (comme il se doit lors de toute bonne colonisation) de primes au repeuplement, à la reproduction, pardon, "primes à la naissance" du moment qu'elle est purement chinoise...

D'un point de vue juridique, le Tibet n'appartient pas à la Chine, est un pays indépendant soumis: l'occupation chinoise est donc purement et simplement illégale.

Pourtant, le Potala a été vidé de son chef spirituel, 130.000 Tibétains sont désormais des réfugiés en exil, pour la majorité en Inde.


La chute de Lhassa (plus connue en Chine sous le nom poétique de "Libération du Tibet par Mao") n'a duré qu'un bref instant. Un bref instant pour empaqueter toute une vie et fuir coute que coute. Plusieurs ont péri, on s'en doute, pendant cette Longue Marche tibétaine, paradoxalement pour sauver leur peau...
La plupart de ces réfugiés se rendent à Dharamsala pour voir leur Dieu vivant, faisant maintenant figure de père protecteur.

Le Dalai Lama les reçoit tous, un par un, pour écouter leurs histoires dignes des plus mauvais scenari de films sanguinaires, à l'exception près que la fin n'est pas encore écrite...


J'en avais déjà parlé dans un blog precedant: destructions de villages, confiscations de maisons, rafles, boucheries, bains de sang, subordination des colonisés par les colonisateurs, emprisonnements, tortures (de femmes, d'enfants, de vieillards.. quand on en est arrivé à un tel degré de barbarie pourquoi faire dans le détail...), intimidations des intellectuels, menaces, censure de la presse et contrôle des publications autorisées à pénétrer le mur de honte imaginaire qui entoure le Tibet, 30.000 policiers chinois formés à la surveillance des échanges internet, check-points, et bien entendu journalistes étrangers interdits d'entrée; les homicides doivent se dérouler dans un silence médiatique absolu.


Croire comme la naïve que je fus qu'il s'agissait d'une des nombreuses bavures appartenant à l'histoire est un leurre. Ca se passe encore au moment où j'écris ces lignes, ça se passe encore au moment où vous les lisez, ça se passera sans doute pour longtemps encore...


Chaque Tibétain que j'ai eu la chance merveilleuse de rencontrer a au moins un membre de sa famille tué ou emprisonné; ça m'a révoltée, ca m'a écoeurée, ça m'a fait pleurer, ça m'a enragée.. mais la nausée, les larmes et la colère n'auront au final rien changé...

Dans quelques années peut-être dirais je, me repentant de mon infamie auprès de mes enfants, qu'on savait mais qu'on a rien fait.... On aura laissé le temps à la poussière de s'accumuler sur les dossiers de violation des droits de l'homme conservés quelque part dans les archives de l'ONU, tombés aux oubliettes sauf avoir été même lus.. comme tant d'autres...


Suite aux nouveaux massacres de 1959 qui ont poussé la Dalai Lama à s'exiler, l'Assemblée générale de l'ONU adopte une première résolution où elle se déclare "gravement préoccupée et consciente de la nécessité de préserver les droits élémentaires des Tibétains".
Dans le langage diplomatique, "choqué, ou "revolté" sont des mots grossiers... on est ... "préoccupé".

Existe t-il un Dieu et serait il assez cruel pour laisser faire ça? Dans le cas du Tibet, il est quasi Dieu, et il est vivant, et il répond par la compassion et le pardon. Une réponse des plus pacifiste, et bien plus humaniste que mystique...


Dans un des nombreux livres du Dalaï Lama que j'ai pu lire se trouve une anecdote qui illustre à elle seule une grande partie de la pensée philosophique bouddhiste: un moine et ami intime du Dalai Lama resté au Tibet a été emprisonné pendant 8 ans. Huit années durant lesquelles il a enduré de l'armée chinoise tortures quotidiennes et humiliations. Une fois relâché, il a trouve exil à Dharamsala. La première question que le Dalai Lama lui a posé "Pendant ces 8 années, de quoi as-tu eu le plus peur?", et ce dernier de répondre " De perdre mon amour et ma compassion pour les Chinois".

Ma première réaction d'Occidentale athée a été de me dire "encore un illuminé qui pense que le raccourci vers un hypothétique paradis est l'acceptation aveugle de la souffrance, la flagellation... Mais cette réponse était pourtant des plus rationnelles: s'il s'était mis à haïr ses tortionnaires, sa colère et sa haine l'auraient fait souffrir davantage, et à terme, l'aurait rendu complètement fou.

Khatmandou, Décembre 2007
Je me trouve au Népal, et mon prochain vol part de Lhassa vers Chengdu en Chine intérieure. Il y a quelques mois, je faisais des bonds de joie a l'idée de voir Lhassa, cette cité énigmatique; mais aujourd'hui, l'idée ne m'enchante plus guère.


Pendant mon trek dans l'Annapurna, j'ai eu l'occasion de voir des photos de Lhassa qui trônaient fièrement dans chaque intérieur de réfugié tibétain. On est bien loin des images poétiques de "Seven years in Tibet" de J-J Annaud: Lhassa est devenu une ville chinoise défigurée par des buidlings monotones, et grillagées de larges artères comme les dictateurs communistes savent si bien faire, et dans lesquelles les chars et les tanks circulent plus facilement.

Temba m'avait dressé le portrait sanglant du Tibet qui avait fait naitre des doutes quant au bien-fondé de ma présence en petite touriste innocente, cautionnant implicitement les atrocités chinoises.

Aussi, le Tibet ne se visite pas en voyageur indépendant; on y voyage en troupeaux organisés, et encadrés par les nombreux check-points pour éviter que vous ne vous égariez et soyez témoins de spectacles labellisés "âmes sensibles, s'abstenir".

Mais après avoir ruminé tout ça pendant plusieurs jours, je me suis dit "well, what the fuck, allons-y, voir par moi-même, ...ou plutôt escortée par un guide on ne peut plus officiel!!" Et je n'ai aucun regret!

Avant de partir, on m'avait avertie de nombreuses fois; interdiction formelle d'y faire entrer toute chose liée de près ou de loin au Dalai Lama. Parfait!! Je remplis mon sac de deux de ses livres en français que je possède, et achète avant de partir son autobiographie en anglais "Freedom in exile".
Comme je l'avais dit; mon petit acte de protestation personnelle....



Appels au Boycott des Jeux Olympiques de Pekin:
Chine: la plus grande prison du monde pour journalistes et internautes