jeudi 2 août 2007

World Trip # 4: Malawi (Part III)

11 juillet – 28 juillet 2007

World Trip #1: Tanzanie - Zanzibar

Eduard Puncque, alias Biniopie, j’avais promis lors d'un précédent post un chapitre entier sur lui : le voici.

J'ai rencontré Puncque le jour de mon arrivée au Malawi, et depuis, c'est devenu un véritable ami, et même plus ; mon inséparable ange gardien malawite. Son histoire ressemble à celle des gens d'ici, c'est probablement aussi pour ça qu'elle mérite d'être mentionnée...


Puncque a seulement 25 ans et un nombre effarant de vies derrière lui : abandonné par son père alors qu'il n'avait pas même vu le jour, laissé en route par sa mère qui a pris le chemin de l'Afrique du Sud (l'eldorado des Malawiens qui rêvent tous d'aller y travailler un jour), son seul diplôme de secondaire en poche, parce que celui-ci a déjà représenté un investissement important pour sa famille, homeless plusieurs années durant lesquelles il a partagé avec 6 de ses amis une vieille carcasse de voiture comme toute maison, et le lac comme salle de bain (il m'avouera néanmoins que c'est surtout son goût pour l'indépendance et la liberté qui l'a empêché de partir vivre auprès de sa mère...)…

Comme gagne-pain (je devrais dire gagne Nsima ;-)), c’est la débrouille ; tour à tour barman, chef cuistot, serveur, DJ, manutentionnaire sur un ferry, mécanicien, chauffeur de bus alors qu'il n'avait pas encore l'âge d'avoir le permis mais de bonnes notions en mécanique (utile quand on sait que les taxis-brousse tombent en panne au moins une fois par trajet) et connaissait aussi tous les moyens de corrompre la police pour le laisser rouler, conducteur de camions, guide pour Safaris, ... J'en oublie certainement, et je continue d'en apprendre tous les jours...

Apres avoir pris soin jusqu'au dernier souffle de ses 2 tantes et de son oncle, morts les uns après les autres du Sida, il a hérité de ceux qu'il appelle tendrement « my wife and my 2 sweet girls ».

Sa femme, c'est sa vieille grand-mère invalide dont personne ne connaît l'age exact. Ses filles, ce sont ses 2 sœurs (les enfants de vos tantes du coté maternel sont vos frères et sœurs) : Jessica et Agnès, 11 et 15 ans, dont il prend soin comme un véritable père, veille sur leur études, et pour chacune desquelles il a ouvert un compte en banque sur lequel il tente de verser régulièrement de l'argent (Il garde les cartes bancaires précieusement pour leur remettre un jour en échange de leur diplôme scolaire).

Quand il n'est pas là, ce sont elles qui prennent soin de la grand mère, et font tourner seules la maison. En plus de ses deux sweet girls, il y a son cousin (contrairement aux tantes, les enfants de vos oncles ne sont pas vos frères et sœurs mais restent vos cousins) : Dave, devenu hémiplégique et muet peu de temps après la mort de son père.

La cause de sa paralysie ? Personne ne sait ou ne veut dire ; c'est ce qui arrive aux gens qui se font trop de soucis ou sur lesquels quelqu'un a jeté un mauvais sort... Je me suis contentée de cette explication, après tout à qui ou à quoi cela servirait de savoir, les soins médicaux sont un luxe hors de portée...


Dave me brise le cœur à chaque fois que je le vois ; tout le monde semble prendre son handicap comme une fatalité, et personne ne prête réellement attention à lui. Par exemple, au moment du repas, alors que tout le monde est à table, il mange seul assis par terre dans un coin oppose de la pièce. Toute la famille est intimement persuadée que Dave ne comprend de toutes façons plus rien… Pourtant, quand je croise son regard, je lis toute la tristesse du monde dans ses yeux... J'ai voulu en parler à Puncque avant de me rendre compte, quasiment honteuse, que ce n'est pas par cruauté ou manque de compassion qu’on semble le délaisser, simplement que tout le monde dans cette petite famille lutte déjà péniblement pour survivre...Quand la grand mère décédera, Jessica et Agnès qui auront pourtant grandi ensemble seront séparées et confiées à des membres éloignés de la famille qui accepteront de veiller sur elles (et surtout qui en auront les moyens), et Puncque sera alors libre de poursuivre son rêve de partir travailler et vivre une vie meilleure en Afrique du Sud.

Personne n'a jamais fait état ce que deviendra Dave...


La première fois que j'ai été invitée à manger chez eux, j'étais dans un embarras monstrueux... Au menu : poisson et Nsima. J'avais droit au corps entier dans mon assiette tandis que face à moi, tous les 5 se partageaient la misérable tête. J'avais beau protester pour un partage plus équitable ; Puncque m'assurait que la tête est la meilleure partie parce que manger le cerveau du poisson rend intelligent... Je n'avais plus qu'a m'y résoudre, peu convaincue tout de même... ;-)

Depuis, quand j'ai encore l'honneur d'être invitée chez eux, ils me préparent le Nsima et quelques légumes du jardin, et j'apporte 3 gros poissons tout frais, achetés pour 4-5 euros aux pêcheurs sur la plage... unique façon pour moi d'être certaine que chacun aura sa part du festin...


Préparer à manger, c'est tout un cérémonial, ça prend du temps et cela se fait tous ensemble accroupis à terre autour du brasero qu'on installe dans la cour face à la maison. Dans les villages, une infime minorité de gens ont les moyens de s'acheter un four ou une taque (quand bien même, il auraient l’électricité). La famille de Puncque est privilégiée ; il y a un robinet d'eau froide a l'intérieur de la maison. Dans les villages, ce sont parfois des kilomètres à parcourir pour remplir un seau au puit le plus proche.


Les deux sœurs sont adorables ; Jessica, la petite, passe la soirée à faire des bonds et le singe autour de moi, chanter, danser et rire sans arrêt. Ses seuls moments de quiétude sont quand elle vient me toucher religieusement les cheveux (des cheveux raides, une véritable curiosité locale) et s'amuser à me faire des tresses.

La première fois que je suis venue dîner, toute l'école a eu droit le lendemain à l'histoire de l'année de Jessica : un Mzungu est venu manger à la maison !! Je pense d'ailleurs maintenant que tout Nkhata Bay est au courant que Jessica s'est assise sur les genoux d'un Mzungu…

Agnes, la plus âgée, est plus réservée, mais a pris le temps de m'apprendre à préparer le Nsima... des petits moments à deux et de grands souvenirs pour moi... Je lui ai apporté 2-3 échantillons de parfum que j'avais emporté; elle a tout mis d'un coup pour aller en classe le lendemain et s'assurer que tout le village puisse sentir ses luxueuses effluves. Elle a fait, parait-il, sensation auprès de tous ses camarades ! Je lui ai promis de lui envoyer un stock dès que je rentre en Belgique…


Au milieu de tout cet affairement règne la grand-mère, assise sereinement face à la photo de son défunt mari, de posters de Paris et Londres où personne n'est jamais allé, et d'un énorme frigo qui dénote de tout le reste par sa modernité mais toujours désespérément vide... même ses étagères vitrées ont pris le large, sans doute revendues en « pièces détachées » pour un usage que seule la créativité africaine a le don d'imaginer…

En Afrique, c'est Lavoisier en plein : rien ne se perd, rien ne se crée, tout, absolument tout se transforme!!


Un jour où je passais dire bonjour, mon appareil photo sous le bras, la grand mère m'a demandé de prendre des photos d'elle avec Puncque et la photo son défunt mari : Je sens que je vais bientôt mourir, me disait-elle, et je veux que Puncque ait un souvenir de moi et son grand père. J'étais très émue de me voir confier la responsabilité de ses portraits posthumes...


Puncque et moi, on traîne toujours tellement ensemble qu’ « on a peint la ville en bleu » comme ils disent... Ca veut dire qu'on est aussi visible et connu que le bleu du ciel. Quasiment tout Mzuzu et Nkhata Bay me connaît comme « Puncque's friend », des gens que je vois pour la première fois m’abordent par des « How are you sister ? you're Puncque's friend, Puncque's like my brother, so you’re my sister too »… On a du mal à s’imaginer comme tout le monde connaît tout le monde ici, et comme tout, absolument tout se sait.

En Afrique, les ragots sont plus rapides que la foudre !


J'ai accompagné Puncque à Mzuzu où je suis restée quasiment deux semaines. On a fait du camping dans le jardin d'amis à lui qui nous laissaient l'usage de leur salle de bain. Dans les sanitaires ici, outre l'eau chaude, il manque toujours deux choses : du papier toilette, et un miroir... Les miroirs ça coûte apparemment cher ; même dans les restaurants ou guesthouse, on n'en met pas par peur qu'on les vole. Ca va faire deux semaines que je n'ai pas vu un lit, ni ma tête... Ca fait du bien de prendre congé de soi de temps en temps... ;-)


A Mzuzu, quasi plus aucun Mzungu en vue, ils ne font qu'y passer : les seuls avec qui j’ai réellement lié connaissance sont deux américains incroyables, Erik et sa femme qui parcourent l'Afrique pour 3 ans en Jeep (www.border-crossings.com).

C'est vrai aussi qu’à Mzuzu il n'y a pas grand chose à voir ou à faire, mais je prends le temps, j'apprend à connaître les gens, la culture et vivre a l'africaine... Ca implique notamment que la notion de temps n'ait plus aucune importance : On était sensé y rester un seul jour, et finalement pendant les deux semaines, on partait demain. ;-) Le demain africain sans doute…

Puncque y était venu pour travailler sur une voiture, un pick-up qu'il transforme en sorte de mini-bus pour partir dans le sud gagner sa vie en organisant des safaris. Je suis donc aussi à Mzuzu pour observer le miracle s'opérer sous mes yeux : on récupère le toit rouillé d'un minibus, les fenêtres ci et là des carcasses de berline pourrissant dans un jardin quelconque, la portière d'un camion, des tôles de toutes sortes, des sièges d'un car... et on assemble le tout... J'attends impatiemment le résultat ; Puncque est excité comme un gosse a l'idée de faire la plus belle voiture du Malawi. Moi j’en profite pour l'accompagner dans les villages plus éloignés à la recherche des pièces détachées...

Il semblerait que tout le monde a dans son jardin un véhicule en train de pourrir qu'on désosse et revend centimètre par centimètre pour lui donner une nouvelle vie...


Le reste du temps, je le passe avec Kelvin, un ami d'école de Puncque qui étudie à Mzuzu, et qui rit sans cesse. Il sourit tellement qu'on dirait que son sourire s'est figé à jamais sur son visage. Avec Kelvin et Puncque, c'est le partage africain. Tout le monde donne, tout le monde prend. Kelvin m'a prêté toutes ses couvertures pour moi camper et m'assure qu'il peut dormir sans alors que les nuits sont fraiches... Je partage mes repas avec eux, ils font la même chose dès qu'ils ont quelque chose à manger, Kelvin paie pour Puncque quand il n'a pas d'argent, Puncque paie pour Kelvin des qu'il a à nouveau quelques kwachas en poche, etc etc.

Quand approche l'heure du repas dans les villages, et que les gens sont dehors accroupis à préparer le repas sur le brasero, ils nous font signe pour nous inviter à partager le nsima... C'est comme ça, on offre ce qu'on a, même si c'est pas grand chose, en signe d'hospitalité...


So, what’s my next plan ? un petit tour en Zambie et/ou le Sud dès que la voiture sera prête, c'est a dire le « demain africain »...J'avais en tête les chutes Victoria via le Mozambique et en traversant le Zimbabwe, mais il semblerait que le pays soit à feu et à sang, avec son fanatique et sanguinaire dictateur Mugabe qui tire sur son propre peuple et s'évertue a isoler le pays.

J'ai rencontré il y a quelques jours un Belge qui en revenait et me disait qu'il n'y a plus une goutte d'essence dans le pays, les voitures et les bus ne circulent plus, et par voie de conséquence plus de nourriture non plus dans les magasins. L'inflation y est la plus forte au monde : 4500 à 5000%, un billet de plusieurs dollars zimbabwéens qui vous servirait à acheter le repas d'une famille entière un jour, vous sera certainement plus utile comme papier toilette le lendemain !Les gens meurent de faim et se font tabasser à mort par l'armée quand ils manifestent. Ca a aussi un impact sur les pays voisins comme le Malawi qui importe habituellement énormément de produits du Zimbabwe, et voit les prix des produits de consommation courante augmenter du simple au triple, car originaires désormais d'Afrique du sud.


Allo ? Y a t-il quelqu'un qui s'en soucie dans les hautes sphères d’Occident ?

1 commentaire:

L'Ankou a dit…

Dans les hautes spheres je ne sais pas... Dans nos basses spheres televisuelles et de presse ecrite en tout cas on parle surtout des soit-disant accords secrets entre la Lybie et la France pour la liberation des infirmieres Bulgare, mais du Zimbabwe et de ce qui s'y passe pas grand chose... Doit-on y voir un certain desinteret de "l'occident" pour l'Afrique ??? :P
Y'a bien que les chinois qui s'interessent fortement a l'Afrique... mais peut etre plutot comme debouche commercial que pour le developement !

Mais heureusement que t'es la pour nous rappeler certaines realites, avec tjs autant de poesie et d'emotion :) Tu restes ma "reporter " du monde preferee ;)
Bonne eclate, et continue de bien profiter du temps a l'africaine...