mercredi 7 octobre 2020

L'Europe #4: Les centres fermés, encore

Oh my love, We pray each day.. May you come home, And be okay.

For now, We'll wait.. For you.. For you.. To come home I'll send A pack of cigarettes And some chocolates Hope you get, Filled with love for you. Oh my love, I hope really soon.. To be at home And get close to you For now, We'll wait.. For some news.. For some news.. To come home My mind Is always on your side.. I see you all the time.. With love, For you.
Amatorski, Come home

On parle de Corona, c’est tout ce qui occupe tout le monde, mais pendant ce temps-là, Yahaya, tu sais ce que mon gouvernement vient d‘inventer ? Il s’est torturé les neurones, et il a enfin trouvé une nouvelle solution à la migration ! On l’attendait, on était fébrile : Encore plus de places en centres fermés, plus de places en prison pour ceux dont le seul délit est de ne pas avoir les bons papiers.

Je voudrais pouvoir t’expliquer, je voudrais pouvoir m’excuser, je voudrais te crier, « c’est le temps de repartir essayer sans te faire pourchasser », après ce sera trop tard, ils auront gagné, je voudrais te dire que je vais arriver à vous protéger, mais tout ça, ça sert à quoi ? C’est du vent.

Je lis les derniers articles sur leurs soi disant « bonnes politiques fermes mais humaines », ça fait des années qu’ils nous servent leur même soupe, et je ne sais plus si je suis en colère, triste, révoltée, prête à repartir me battre, essoufflée. 

Toi ce qui t’intéresse c’est de savoir si j’ai mis des grosses chaussettes parce qu’il fait froid dehors aujourd’hui.

Comment revenir à l’essentiel ? L’essentiel tu as raison, c’est de savoir si j’ai mis des grosses chaussettes parce que c’est me montrer que tu t’inquiètes pour moi, l’essentiel, c’est de te regarder avec un grand sourire, te remercier, et me demander comment même tu as pu y penser à ces grosses chaussettes ? 

On n’est pas un couple pourtant. Je ne pourrai jamais définir ce que tu es pour moi, comme je ne saurai jamais définir ce qui sont tes frères et sœurs. En fait si, ce sont mes frères et sœurs, comme toi tu es devenu mon frère.

Ce que ce nouvel accord veut dire pour toi, Yahaya, c’est que ta vie en Europe sera encore plus merdique qu’avant. Comme si elle ne l’était pas suffisamment.

Je voudrais pouvoir leur demander Yahaya, je voudrais savoir s’ils vont dormir tranquilles ce soir. S’ils sont satisfaits d’eux-mêmes.

Moi je regarde Jawar, 2 ans peut-être qu’il est ici, si pas plus. Qu’est-ce qu’il a vieilli. Quand il est arrivé à la maison, je lui aurais donné 18-20 ans, maintenant je lui donne la bonne trentaine, si pas plus. Je ne lui ai jamais demandé son âge à Jawar, mais je sais qu’on aura vieilli un bon moment ensemble.

Jawar chaque fois que tu es parti de la maison, que tu m’as dit, « je pars essayer », je t’ai tapé dans la main, je t’ai serré dans mes bras, et je t’ai dit « good luck, call me tomorow from London ».

J’en ai marre de cette phrase, si tu savais.

Au début j’y croyais vraiment, maintenant, je sais ce qui t’attend.

Ce qui t’attend, c’est un train à prendre sans billet, c’est un contrôleur qui a le pouvoir d’appeler la Police. C’est la Police qui a le pouvoir de te mettre en centre fermé. Ce qui t’attend si tu y arrives, c’est une, deux ou trois heures de marches jusqu’à ton parking là où sont les camions.

Une ou deux heures de marches sous la pluie ou le froid, c’est long.

Ce qui t’attend sur place, ce sont les connards de passeurs. C’est mon gouvernement qui leur a permis d’exister en verrouillant les frontières. Je ne parlerai pas des bagarres, parfois au couteau, entre communautés pour prendre le seul camion qui peut-être part vers l’UK.

Il va falloir vous cacher aux abords de l’autoroute. Il y aura la sécurité ou la police avec des chiens qui vous traqueront comme des animaux. Il y aura ceux qui s’échappent en se blessant, et qu’on soignera demain à l’hôpital. Il y aura cette nuit où si tu es chanceux, tu te cacheras dans le seul camion qui devrait partir. Fais attention à toi, un de nos frères y a déjà été tué écrasé par ses palettes.

Quand tu auras réussi à t’y cacher dans le camion, attendant toute la nuit qu’il parte vers l’UK, il y aura demain le « Good Morning ». Ce "Good morning" plein de cynisme. 

Si tu n’y réussis pas tu te cacheras dans les végétations aux abords de l’autoroute

La Police si elle est sympa, te dira « Good Morning », ou « allez dégage ». Tu descendras du camion ou tu sortiras de ta végétation, tu feras le chemin inverse, et je vous attendrai avec une boisson chaude demain matin à la maison en vous disant à tous « so sorry ». On ne se dira pas grand-chose, je la connais votre déception, et vous, vous avez tant besoin de dormir.

Ça, c’est si tu as finalement eu de la chance de ne pas te faire attraper.

Il y aura tes autres amis à qui j’ai dit « Good luck » aussi hier soir. Je leur ai dit, et puis plus rien, ils manqueront  au thé du matin. 

Au début on s’inquiète plus trop, on a l’habitude, le camion les a peut-être perdu loin, mais ils savent comment revenir. On les appelle, mais leurs téléphones sont éteints. Après on se demande pourquoi ils n’ont pas encore donné de nouvelles. Après on se dit que le temps est long, merde, va falloir que je te retrouve, comment tu t’appelles vraiment, par où commencer ? Moi j’ai pas gardé tout ce que tu aurais pu avoir comme papiers qui pouvait me donner des pistes sur ton identité en arrivant. Je vais devoir appeler tes autres familles, elles seront dans le même désarroi.

Comment tu t’appelles, surtout quel nom tu as donné à la Police ? C’est tout ce qui me fera te retrouver. Je sors mon répertoires des centres fermés en Belgique, je vais les appeler un à un. Je vais devoir te retrouver. Biniam, ça s’écrit aussi Byniam, ça s’écrit aussi Baniam selon ce que le flic qui a pris ta déposition dans une langue que tu ne comprends pas aura entendu. 

Je le saurai plus tard, on t’a appelé Namiam. Certains ont eu la chance d’avoir le temps de m’appeler du poste de flics où on les gardera 24 heures avant d’aller les enfermer, et de me dirent « we go closed center, jail ». Oui mais où ? Je les connais déjà les centres fermés, les prisons qui accepteront de me répondre, je sais ceux qui me raccrocheront au nez.  

Biniam, je sais qu’en y entrant, on t’a déjà tout enlevé, à commencer par ton téléphone qui t’aurait permis de m’appeler, ta réelle identité aussi.

Comment il va falloir que je me démerde moi ? Je les appelle les centres fermés : Bbb, bon Pp peut-être, Naa. Des éthiopiens, on les a arrêtés hier, je le sais, leurs amis nous on dit. Oui ! Ils sont arrivés ? Si la dame est gentille, elle aura eu la patience d’épeler tous les noms possibles avec moi et on t’aura retrouvé. Si pas, tu aurais été perdu à tout jamais.

Maintenant, le plus urgent pour nous les citoyens solidaires, c’est de te trouver un avocat. La plupart du temps, les centres fermés feront tout ce qu’ils veulent faire en s’en foutant pas mal du droit. Les assistants sociaux, même si certains d’entre eux sont vraiment humais, te diront, en dépit du bon sens de ne pas prendre d’avocat. Tu vas soi-disant y rester plus longtemps. N’oublie pas que leur but ultime c’est de t’expulser. Ce sont des machines à punition et expulsion.

Il va falloir que je te trouve un nouveau téléphone sans internet et caméra qui sont interdits là où tu te trouves. La grosse majorité de temps, ce seront d’autres citoyens solidaires que me le donneront. Pour toi. Parce qu’on est des centaines sans doute à penser à toi. On est des centaines à s’écœurer ou parfois ne plus même pouvoir.

Ce téléphone, il restera notre lien. 

Bien sûr, je peux venir te voir, avec des horaires de train impossibles, entre 13.30 et 14.30, en m’enregistrant la veille et arriver 30 minutes plus tôt pour qu’on me fouille. Les médicaments dont tu avais besoin et que je t’avais apporté de la maison, ils ont été confisqués.

Le plus difficile pour toi ce sera de te demander ce que tu fais dans cette prison et combien de temps tu y resteras. Le plus dur sera l’angoisse de te faire expulser.

Le plus dur pour moi, ce sera de me demander ce que tu fais dans cette prison et combien de temps tu y resteras. Le plus difficile sera d’essayer d’éviter que tu te fasses expulser.

 

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