mardi 19 février 2008

World Trip # 25: Tibet, colonie chinoise ensanglantee (part III & last: sad conclusions)

Preacher man, don’t tell me, heaven is under the earth.
I know you don’t know what life is really worth.

Its not all that glitters is gold; half the story has never been told:
So now you see the light, stand up for your rights

Most people think, great God will come from the skies,
Take away everything and make everybody feel high.


But if you know what life is worth, you will look for yours on earth:

And now you see the light, you stand up for your rights.


Bob Marley and Peter Tosh, 1973.

On est le 31 décembre, ce soir, même si je n'ai pas vraiment la tête à ça, c'est réveillon! On est au milieu de nulle part, on va donc devoir s'improviser une petite fiesta avec ce qu'on a à portée de mains... pas grand-chose.

Passant par hasard devant un magasin de spiritueux, je rentre acheter une bouteille pour trinquer avec mes acolytes. Tout étant en chinois, j'attrape celle qui me parait avoir le plus bel emballage. Mes goûts esthétiques sont certainement à remettre en question: ce fut un infâme brandy asiatique à 58 degrés qu'on digérera, et re-digérera pendant plusieurs jours...

Tenzin nous a réservé une table dans un restaurant du coin. Diner de réveillon : boudins d'intestins de mouton et poumons de yack grillés. Je serai la seule à terminer le plat quand les autres se seront aperçus que, non, il ne s'agissait pas de champignons... burp...

Suite du programme : la discothèque locale tibétaine et ses danses traditionnelles.

Entre chaque performance, un monsieur loyal, avec un faux air de "Star'Ac" et un enthousiasme qui dénote de l'atmosphère ambiante, introduit le spectacle suivant. Le public tibétain, extrêmement pudique et plein de retenue, reste totalement impassible. Qu'à cela ne tienne, avec Karen, l'Allemande, on décide de mettre un peu d'ambiance en se ralliant aux danseurs sur le devant de la scène. On sera aussitôt rejointes par Sebastian et Renato en furie, … et pas une seule esquisse de sourires des spectateurs.

Quand le présentateur, manifestement sous amphet's, réapparait, il doit être en train de parler de nous car on se fait chaleureusement applaudir par la salle.

Ouf ! Un moment, je suis dit qu'avec mes conneries, tout ce que je serai parvenue à faire sera de les choquer, ou bien pire les insulter !

Il fait toujours aussi froid, et même ici c'est pas la peine d'espérer le moindre chauffage.

C'est la première fois de ma vie que je me retrouve en discothèque habillée de trois couches de polaires et bonnet à commander, via Tenzin, verres d'eau chaude après verres d'eau chaude apportés par des serveuses en mini-jupe et T-shirt moulant. Je ne sais pas si ce sont elles et le présentateur, ou bien les clients qui se sont trompés d'endroit, mais il y a un certain décalage que je ne saisis pas...

Je me rends au bar demander, seule et téméraire cette fois, mon 53ième verre d'eau chaude. Le barman ne comprend évidemment rien de ce que j'essaye de commander. Bientôt, c'est tout le staff qui vient m’entourer pour tenter de deviner ce que je veux, complètement hilare. Comment expliquer « verre d'eau chaude » par des gestes ? Tout ce que je peux faire est rire avec eux de moi-même, et repartir bredouille.

Je profite de mon escapade pour faire un détour par les toilettes; tout aussi traditionnelles que les danses : une pièce avec 3 trous creusés les uns à côté des autres. L'un d'eux est occupé... ooops... sorry... La fille me sourit et me fait signe de rentrer.. Ce sera la première fois de ma vie aussi que je me retrouve à uriner en groupe... La pudeur tibétaine est ailleurs et ça doit faire partie de mon apprentissage de la culture locale j'imagine....

Retour dans la salle. C’est au tour du public de danser. Les spectateurs, tous en anorak, envahissent la scène, et c’est parti pour quelques pas de danse régionale !

On tourne en cercle en croisant et décroisant les jambes, sorte de sardane tibétaine.

J’interromps quelques personnes pour leur demander de me montrer comment faire, mais chacun prend ça très au sérieux, et visiblement je les déconcentre ! Désolée, j’ai compris ; je vais me contenter d’imiter en cessant de les perturber…

Fin de la musique, tout le monde rejoint sa place calmement et silencieusement, et les danseurs professionnels reprennent possession de la scène. Les Tibétains ont décidément une conception très particulière de ce qu’est sortir danser en boite!

On rencontre un autre groupe de voyageurs et se joint a leur table. Leur guide est assis à mes côtés. Je suis en train de lui parler lorsqu’il s’écroule soudainement de sa chaise complètement ivre… Ok, il a probablement raison, il est l’heure de rentrer…

A notre hôtel, on a enfin une douche... d’eau froide, mais une douche ! J’en profite le lendemain pour me laver les cheveux ; cette fabuleuse idée me vaudra une superbe coiffe de stalactites qui ne dégèlera pas de la journée…Dreadlocks de glace a la tibétaine.... Yeah Man !


On s’approche de Lhassa, la route qui serpente les montagnes devient moderne et praticable.

Moi, le visage collé à la vitre, j’ai le vague à l’âme… des massacres et des horreurs plein la tête... Je suis en train de me demander combien de familles tibétaines ont été réquisitionnées, combien ont souffert, combien ont péri pour construire cette putain de route sur laquelle je suis en train de faire ma putain de petite ballade touristique…

Dans la jeep, on n’arrête pas de me demander ce que j’ai..

Mais bordel!!! A-t-on vécu la même chose ? A-t-on vu le même Tibet ? J’ai pas simplement cauchemardé... comment cela se fait-il que cela ne leur saute pas aux yeux ? Suis-je trop sensible ? Ont-ils perdu leur humanité ? Suis-je trop émotive ? Trop bouleversée ? Le monde tourne t-il réellement rond ?

Qu’est ce que j’ai ? Existent-ils des mots assez forts pour leur dire ce que j’ai ? Si oui, j’ai beau les chercher, je ne les trouve pas… alors comme beaucoup (trop), je préfère encore me taire: nothing, I’ve got nothing…

Arrivée à Lhassa, tout le monde est profondément déçu par la modernité et la pollution de la ville. De l’ancienne capitale tibétaine ne subsiste réellement que le Potala perdu au milieu du trafic. Qu’est-ce qu-ils s’imaginaient ?


Pendant tout ce voyage, dés que j’en ai eu l’occasion, j’ai rejoint Tenzin et nos chauffeurs tibétains pour les assommer de questions sur le Tibet. Quand j’ai demande à Tenzin ce qu’il pensait que nous, Occidentaux, on pouvait faire pour changer la situation, il m’avait répondu : « Je ne sais pas Gaele, poste nue devant le Potala avec une pancarte « Free Tibet » ».

S’il savait a quel point je mesure l’amertume qui se cachait derrière cette réponse narquoise… et encore, qui suis-je pour prétendre être en mesure de comprendre une seule once de son amertume ?

Le lendemain, ambiance d’excitation pour la visite du Ô combien énigmatique et fantasmagorique Potala. On sera parmi les derniers à le voir en entier ; en mars, les autorités chinoises vont fermer définitivement sa partie supérieure.

Moi, je ne me sens pas à l’aise. Je me demande ce que je fais là à payer une entrée au gouvernement chinois pour visiter des lieux qu’ils ont effectivement envahis, mais qui ne leur appartiennent pas…
Des lieux qu'ils exploitent et rentabilisent avec mon aide.

Et comme une petite conne, je suis le troupeau. Et on peut parler de troupeau ; des hordes de touristes bruyants et imposants, pour la plupart Chinois en terre conquise, entre lesquels se faufilent difficilement et discrètement des pèlerins tibétains.

Mais bon sang, laissons les en paix !!
Laissons leur au moins le droit de venir méditer, dans le calme et la sérénité, dans cet asile qui fut jadis le leur!! Pardon qui est toujours le leur...

Qu'est ce qui leur reste? Qu'est ce que les Chinois leur ont laisse?

Qu’est ce que je fous ici à photographier ces vestiges dont j’ai l’impression de violer l’intimité et salir la mémoire ? Les Chinois ont chassé le propriétaire, on piétienne sa maison.

Plus aucun «Tashi delek », j’ose même plus croiser le regard des Tibétains… Que pensent-ils de moi? Que je cautionne tout ça?

Tout ce qui reste du pouvoir tibétain au Tibet, c'est pas grand chose; un musée envahi de touristes en tongs en été, et beaucoup, beaucoup de soldats chinois dont la présence m'indispose.

Je ferai l'effort de suivre la visite en entier, même si je ne rêve que d'une chose, c'est de m'enfouir en courant! Par respect pour Tenzin, dont je n'arrive pas à transpercer les pensées, et qui joue son rôle de guide jusqu'au bout.
Que cache son regard? De la fierté de pouvoir nous montrer la richesse culturelle de son peuple? De la rancœur? J'imagine qu'il espère aussi nous faire prendre conscience à quel point les Chinois ont torpillé son pays... mais moi, je suis au bord de l'indigestion....

Tenzin, probablement conscient de mon inconfort, ne cesse de venir me demander ce que je ressens en voyant le Potala…. De la tristesse, Tenzin, énormément de tristesse…
De la honte aussi, mais je ne lui dirai pas.

Dans le Potala, aucun portrait, aucune référence, aucune mention du 14ième et actuel Dalaï-Lama; il n’existe plus, il a été effacé, tout simplement éradiqué par la censure chinoise.

D’après Tenzin, celui-ci aurait annoncé qu’il ne se réincarnera pas en Tibétain, mais aura les yeux bleus et les cheveux couleur or. Une façon déguisée de dire qu’il n’y aura pas de 15ième Dalai-Lama en terre tibétaine tant que celle-ci restera chinoise. Certains disent aussi qu’il sera le dernier. A sa mort, une page de l’histoire sera définitivement tournée. La Chine pourra continuer d’écrire seule la suite…

Lors d’une de mes nombreuses conversations avec Tenzin, il m’a expliqué que les jeunes générations ne parlent plus tibétain. Ils veulent tous devenir comme les Chinois parce que les Chinois veulent eux-mêmes devenir comme tout le monde, c'est-à-dire le parfait petit Occidental capitaliste, un GSM dernier cri à la main, la télécommande sur MTV dans l’autre.

La Chine a entamé sa dernière phase de conquête ; elle aspire le Tibet de l’intérieur, et il n’y a aucune possibilité de marche arrière…
Surement que la perte de la culture tibétaine se serait de toutes façons produite nonobstant la Chine…Avec combien de massacres en moins ?


L'après-midi, Tenzin tout excite me demande de pouvoir me parler en apparté. Il m’explique que Sebastian et Renato lui ont promis de lui procurer de faux documents pour le faire sortir du pays, et veut savoir ce que j’en pense… Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ?? Je lui réponds que d’après moi c’est impossible, ou si c’est possible, cela ne se fait pas aussi facilement en une nuit. « C’est bien ce que je pensais » me répond t-il, avant de me tourner pudiquement le dos plein de tristesse et déception…

Croyant à une (très) mauvaise plaisanterie, je vais trouver Sebastian et Renato qui m’expliquent qu’ils connaissaient des officiels qu’ils pourraient soudoyer pour obtenir un faux passeport argentin. Super ! Et ils le font sortir comment du pays ? Il est fiché maintenant. A pied ? Via l’Inde, le Népal ? En tant que Tibétain, Tenzin n’a de toutes façons pas droit à des documents de voyage ou très difficilement. Et si oui, comment expliquer qu’un « Argentin » quitte le Népal ou l’Inde sans même un visa d’entrée sur son passeport tout neuf ? Et son père ? « On a pas réfléchi à tout ça… ». On essaye d’élaborer des solutions a 3, que des voies sans issue… la Chine est une immense prison.

Se rendent-ils seulement compte a quel point c’est cruel de faire croire à ce genre de promesse ?


On passe toutes nos dernières soirées ensemble a Lhassa dans le seul bar ouvert à cette saison non touristique. Gustav, le Suédois, a emporte sa guitare qu’il gratte chaque soir pendant que Renato, Alexandre, Fernanda et Joyce, les Brésiliens nous chantent des ballades d’Amérique latine. Pour remercier Tenzin, on lui a offert mon bouquin du Dalai Lama qu’on lui a tous dédicacé, avant que le groupe ne se disperse, chacun partant vers sa prochaine destination.

Il ne reste bientôt plus que Sebastian, attendant son train, et moi, mon avion.

Sebastian va partir dans une ville chinoise ou il va enseigner le yoga pendant quelques semaines (ce devait être quelques mois, mais j’apprendrai de lui plus tard que les autorites chinoises n’ont jamais voulu renouveler son visa) pour le compte d’une Chinoise rencontrée en Thaïlande. Quand Sebastian lui a téléphoné de Lhassa pour lui dire quand il arriverait, et lui décrire dans le flot de la conversation la situation au Tibet, elle ne savait pas de quoi il parlait… Elle qui voyage et a donc accès a l’information extérieure, s’y intéresse t-elle maintenant ?

A deux, on peut partager les frais d’hôtel… On s’est donc offert le luxe d’une chambre avec chauffage et douche chaude que je ne parviens plus a quitter. A l’extérieur, le froid est une torture à lui tout seul.

On passe nos journées, emmitouflés comme des momies dans nos couettes respectives, à regarder la télévision chinoise ; que des feuilletons ou jeux stupides à l’américaine, entrecoupés de propagandes à la gloire de Mao, et spots publicitaires pour les Jeux Olympiques. C’est d’un ennui tel qu’on coupe le son, et on s’amuse à refaire les dialogues a deux… c’est bien plus drôle, et je dois dire que Sebastian a un véritable talent pour ça !

La veille de mon départ, ayant fait part a Tenzin de mon désir de léguer mes 5 kilos de vêtements chauds à quelqu’un à qui cela puisse vraiment profiter, il nous emmène, Sebastian et moi, dans un orphelinat tibétain. Les petits kets, âgés de 3 à 15 ans y dorment a trois par lit. Le gérant de l’orphelinat refuse le moindre centime du gouvernement, et parvient à faire vivre la cinquantaine de rejetons par des donations. Ça n’empêche pas l’orphelinat d’être tapissé de drapeaux chinois et portraits des dictateurs au pouvoir (sans oublier Mao, évidemment), sans quoi, les autorités feraient fermer les lieux.


Le soir de nos adieux à 3, Tenzin me dit que c’est maintenant a son tour de me poser une question : « Gaele, quand crois-tu que le Tibet sera libre?»

Si je m’attendais a ca ! Question O combien difficile, mais a laquelle je m’efforce de répondre avec toute franchise...

Je lui réponds que je ne sais évidemment pas, mais qu'étant donne le pouvoir économique de la Chine, aucun de nos lâches petits États occidentaux n’aura les épaules suffisamment larges que pour dénoncer fermement les massacres, ... et surtout faire plus qu'adopter de belles résolutions qu’on oublie aussi vite que celles faites au Nouvel-An.

Que d’après moi, le seul espoir vient de l’ouverture économique de la Chine, en espérant que cela conduise le peuple chinois à pouvoir changer de gouvernement, et oser lever les yeux sur ce qu’ils ont fait…

Mais d’ici la, la population tibétaine sera complètement modelée à l’image de la Chine, sera devenue chinoise à part entière, et il sera trop tard…

Le Tibet est déjà mort, et il n’y a, d’après moi, aucun espoir de le voir ressusciter.

Ça ne nous donne néanmoins certainement pas le droit de fermer les yeux, et encore moins d’accepter…

Tenzin, pensif, acquiesce silencieusement. C'est la réponse à laquelle il s'attendait mais qu'il aurait préféré ne pas entendre...

Le Tibet d’avant 1950, et son peuple toujours aussi extraordinaire, resteront sans doute à tout jamais un conte quasi imaginaire que je raconterai à mon filleul… et à mes enfants.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

a part tes photos sublimes du Tibet, ton recit m'a beacoup touche. Je me rends compte a quel point je ne connais pas cette histoire tibetaine et comment notre existence occidentale est vide et mondaine, facile. J'ai envie de suivres tes pas, mais avec une petite cela ne m'est pas possible, qui sait, un jour quand elle sera grande et moi pas trop vieille... tu as de la chance de voir un monde hors commun et malgre ses contrastes good/evil. Gros bisous

Anonyme a dit…

Votre dernier commentaire ,Gaele, me pétrifie ! Je n'arrive pas à trouver les mots justes (existent_ils?)pour vous dire combien je suis en adéquation totale avec votre façon de ressentir les choses Je ne crois pas qu'il s'agisse d'extrême sensibilité,ni émotivité. Vous êtes avant tout réaliste et clairvoyante .Votre révolte est saine .L'aveuglement ,face à l'horreur en général, dont fait preuve la majorité du monde est désespérante.Seule la loi implacable de l'argent et du pouvoir domine .Que faire ? Cette question me taraude autant qu'à vous.Mon amertume n'a n'égale que la votre.Même si cela ne révolutionnera pas la façon désastreuse qu'à le monde de "tourner",comme vous je parle,je dis,je témoigne ma désapprobation chaque fois que je le peux.Continuer Gaele à témoigner ,à dire,à partager .Vos paroles courageuses déposées sur ce blog ,sont une forme moderne des drapeaux de prières bouddhistes.En plus, vous ,Gaele, vos paroles sont lisibles et explicites .Merci, de témoigner pour ceux qui n'ont pas notre liberté de paroles, (fusse-t-elle fragile...) Bonne continuation dans l'aventure de la vie ,au Tibet,au Népal,partout où vos pas vous mèneront. Amicalement.Nicole d

Anonyme a dit…

Gaele, une nouvelle fois, je prends un grand plaisir à te lire, même si ton témoignage est assez inquiétant et terrifiant!
Je me suis permise de faire un article sur mon blog en donnant le lien du tien pour que d'autres personnes puissent le lire...
gros bisous à toi
Cat

Sandro Lacarbona a dit…

Salut Gaele,
je suis tombé sur ton site par hasard, quelle délicieuse surprise de te lire, tu as un vrai tallent d'écriture (ce que je n'ai malheureusement pas...). Ton dernier récit m'a remémoré mes sentiments sur le Tibet, et cette frustration par laquelle je suis passé en le traversant.
Bonne continuation, et peut-être se croisera-t-on sur ce petit monde, A+