L'Europe #5: Partir
Home, Warsan Shire
Personne ne quitte sa maison à moins
Que sa maison ne soit
devenue la gueule d’un requin
Tu ne cours vers la frontière
Que lorsque toute la ville
court également
Avec tes voisins qui courent
plus vite que toi
Le garçon avec qui tu es
allée à l’école
Qui t’a embrassée, éblouie,
une fois derrière la vieille usine
Porte une arme plus grande
que son corps
Tu pars de chez toi
Quand ta maison ne te permet
plus de rester.
Tu ne quittes pas ta maison
si ta maison ne te chasse pas
Du feu sous tes pieds
Du sang chaud dans ton ventre
C’est quelque chose que tu
n’aurais jamais pensé faire
Jusqu’à ce que la lame ne
soit
Sur ton cou
Et même alors tu portes
encore l’hymne national
Dans ta voix
Quand tu déchires ton
passeport dans les toilettes d’un aéroport
En sanglotant à chaque
bouchée de papier
Pour bien comprendre que tu
ne reviendras jamais en arrière
Il faut que tu comprennes
Que personne ne pousse ses
enfants sur un bateau
A moins que l’eau ne
soit plus sûre que la terre-ferme
Personne ne passe des jours
et des nuits dans l’estomac d’un camion
En se nourrissant de
papier-journal à moins que les kilomètres parcourus
Soient plus qu’un voyage
Personne ne rampe sous un
grillage
Personne ne veut être battu
Pris en pitié
Personne ne choisit les
camps de réfugiés
Ou la prison
Parce que la prison est plus
sûre
Qu’une ville en feu
Personne ne vivrait ça
Personne ne le supporterait
Personne n’a la peau assez
tannée
Rentrez chez vous
Les noirs Les réfugiés
Les sales immigrés
Les demandeurs d’asile
Qui sucent le sang de notre
pays
Ils sentent bizarre
Sauvages
Ils ont fait n’importe quoi
chez eux et maintenant
Ils veulent faire pareil ici
Comment les mots
Les sales regards
Peuvent te glisser sur le dos
Peut-être parce que leur
souffle est plus doux
Qu’un membre arraché
Ou parce que ces mots sont
plus tendres
Que quatorze hommes entre
Tes jambes
Ou ces insultes sont plus
faciles
A digérer
Qu’un os
Que ton corps d’enfant
En miettes
Je veux rentrer chez moi
Mais ma maison est comme la
gueule d’un requin
Ma maison, c’est le baril
d’un pistolet
Et personne ne quitte sa
maison
A moins que ta maison
ne te chasse vers le rivage
A moins que ta maison
ne dise
A tes jambes de courir
plus vite
De laisser tes habits
derrière toi
De ramper à travers le désert
De traverser les océans
Personne ne quitte sa maison
jusqu’à ce que ta maison soit cette petite voix dans ton oreille
Qui te dit
Pars
Pars d’ici tout de suite
Je ne sais pas ce que je
suis devenue
Mais je sais que n’importe où
Ce sera plus sûr qu’ici
Traduction :
Paul Tanguy
Née 1988, Warsan Shire est une poétesse somalienne, et qui vit à Londres, où elle est arrivée à l’âge de 1 an, sa famille ayant fui la Somalie en pleine guerre civile. Elle est poète, écrivaine, éditrice et enseignante.
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