World Trip # 15: Kenya - Madagascar
Après mon après-midi chahutée à Dar Es Salaam et une bonne douche, je fixe rendez-vous à Fary. Pas physionomiste pour un sou, je me rappelle très vaguement de sa tête. Ca me donne la desagreable impression de me rendre à un blind date... Finalement lui me reconnaît tout de suite, et on est tous les deux ravis de se revoir !
Comme notre soirée passée avec le New-Yorkais Jason il y a 4 mois avait porté sur la politique et un débat jusqu’au petit matin sur la religion, j’offre à Fary le livre du biologiste Richard Dawkins que Jason m’avait recommandé et que je viens de terminer: The god delusion, 300 à 400 pages d’arguments en faveur de l’inexistence de Dieu. Fary en profite pour me parler de sa difficulté à vivre en tant qu’athée dans un pays musulman, qui plus est, chez une mère extrémiste.
Depuis que son père, modéré, est mort, sa mère semble s’être plongée corps et âme dans la religion, obligeant ses enfants à apprendre l’arabe "pour mieux communiquer avec Dieu", étudier le coran, observer le ramadan, et pratiquer 5 fois par jour la prière à l’appel du Muezzin.
Le malheureux me raconte qu’il a brossé tous ses cours d’arabe (ce qui conduit à pas mal de malentendus entre lui et Allah ;-)), qu’il boit de l’alcool et mange du porc, et pour finir, il se fait tirer du lit par sa mère à 5h du mat tous les jours, fait ses ablutions, mais va se recoucher en cachette aussitôt.
Non seulement avec tous les péchés qu’il a déjà commis, il n'a aucun doute sur sa place réservée en enfer, mais aussi et surtout, incroyant, il en a eu marre de mentir à tout le monde, à commencer par lui-même. Il y a quelques semaines, il a tout balancé à sa mère ; 15 ans de mensonges. La pauvre femme ne s'en est toujours pas remise, lui cherche un boulot mieux rémunéré pour se barrer de chez lui au plus vite avant que sa mère ne le dilapide sur la place publique.
On va manger un bout dans le seul endroit ouvert ce jour férié : un grand complexe de fast foods avec animations à la Ronald Mc Donald pour les gosses. C’est le rendez-vous du dimanche soir pour les familles, et moi je suis la seule personne de sexe féminin au dessus de 10 ans non voilée.
Après le repas, on retrouve Nashi, une Israélienne que Fary a tiré du pétrin. A la sortie d’un bus, elle s’est faite emmenée dans un endroit désert par son taxi, et volé toutes ses affaires, papiers et cartes de crédit compris. Fary qui avait été son guide l’a retrouvée par hasard en rue, tremblante et en larmes, et lui a donné de l’argent pour elle se loger et manger. Elle voulait voyager un an avec des amis, elle rentre au bout de 2 mois dégoûtée. Elle me raconte que ce n’est pas tant son agression qui la pousse à retourner à la maison, mais le fait qu’elle ne supporte plus de se faire siffler sans cesse, et aborder dans la rue par tous les vicieux dilettantes.
Elle n’arrête pas de me demander comment je tiens le coup seule et surtout blonde ; elle connaît une fille qui a été jusqu’à se teindre les cheveux en noir, espérant passer inaperçue.
D’après moi, mzungu et fille sont deux caractéristiques déjà amplement suffisantes pour attirer l’attention...
Neanmoins, je la comprends et compatis ; sans Puncque ou mes amis à mes côtés, l’attitude des hommes est totalement différente à mon égard, ... même si je persiste à dire que le Malawi reste un cas de tranquillité et sérénité à part.
Il faut savoir prendre sur soi et beaucoup de recul pour supporter d’être sans cesse le centre d’attentions salaces et malveillantes. Elle, ne sort plus de son hôtel en attendant son avion de retour.
Pour utiliser un terme à la mode, ce sont les dégâts collatéraux du tourisme à tous vas dans des endroits traditionnellement très conservateurs, des effets desquels j’avais longuement parlé dans mon dernier post sur l’Inde, et qui m’en avaient fait repartir complètement désenchantée. Ca ne m’a pas empêché de rencontrer des gens attachants dont Fary fait partie, et c’est surtout ce qui me donne la force d’ignorer les autres.
On convainc Nashi de sortir de sa tanière, et on philosophe une dernière fois à 3 quasi toute la nuit. A l’aube, il faut déjà que je reprenne la route pour Nairobi: Les prévisibles imprévus des bus me forcent à me garder quelques jours de marge.
C’est reparti pour 15 heures de bus ! Dans les plaines on peut apercevoir les gracieux et superbes guerriers masaïs. On fait une halte à Arusha, puis à la frontière kenyane, il faut à nouveau se soumettre à l’administration avec ses heures de files et remplissage de papiers. La femme à côté de moi lorgne mon document comme tricherait une gamine de primaire. Je m’aperçois très vite qu’elle ne sait pas lire ni écrire, et l’aide à remplir son papier. L’infortunée traverse simplement la frontière pour aller vendre ses légumes au marché, et a du mal à comprendre la notion de transit ou de douane. Elle me remercie 1000 fois de l’avoir secourue des difficultés administratives, et bientôt, c’est carrément un attroupement d’une dizaine de femmes me demandant de les aider qui se forme devant moi. Ma file fera très vite concurrence à celle du douanier qui m’observe incrédule!
Au Kenya, les routes sont aussi dangereuses et défoncées que partout ailleurs en Afrique, mais la police exige de tous les passagers qu'ils attachent leur ceinture… On met les priorités où l’on veut pour améliorer la sécurité routière… et surtout, ca les aide à recolter les bakchichs..
J’arrive à passé vers minuit à Nairobi, crevée de ma journée passée dans un bus poisseux. Nairobi est une ville comparativement très chère, mais l’appel de la douche chaude a raison de mon portefeuille, je m’offre le luxe d’un hôtel avec chauffe-eau! C’est fou ce que les petits conforts du quotidien occidental peuvent faire sentir leur manque en voyage au point que cela en devient obsédant.
A Nairobi, la malchance continue de me poursuivre ; le boiler de l’hôtel est en panne. Le tenancier, tentant sans doute de faire diversion, me fait changer 3 fois de chambre... sans résultats. Intraitable sur le discount que je lui réclame, j’en ai marre. A 2h du mat je remballe mes affaires, saute dans un taxi et vais m’installer dans le dortoir décrépi d’un hôtel puant. On y dort avec les rats...
J’ai la journée suivante pour vadrouiller dans Nairobi dont la réputation ne fait pourtant pas envie. Légendes urbaines ou faits réels; la rumeur dit de Nairobi qu’elle est l’une, si pas la plus dangereuse ville d’Afrique dans laquelle il est suicidaire de sortir le bout de son nez une fois la nuit tombée. La violence serait telle que même en pleine journée on s’expose au risque d’une aggression ou même d’une balle perdue. Les gens en auraient à ce point marre que les criminels pris sur le fait sont tabassés à mort par la foule, brûlés vif, mis en pièces manu militari, bref se font littéralement lynchés.
Je déambule toute la journée sans aucun problème dans le centre auquel je trouve même un certain charme énigmatique. Le soir, je m’offre un méga Osso Bucco et un petit chianti dans un restaurant italien.
Lors de mon dernier mois à Nkhata Bay au Malawi, la saison sèche avait restreint le choix de légumes à des tomates et du chou, quelques poivrons les jours fastes… difficile dans ces circonstances de ne pas trouver à cette grosse gourmandise une saveur inégalable ! !
Pendant que je me régalais, la nuit est tombée... je décide néanmoins de rentrer à pieds. Si je me sens mal à l’aise, c’est décidé, j’appelle un taxi. Je parcourrai finalement le petit kilomètre qui me sépare de mon dortoir sans l’ombre d’une menace. Nairobi coupe-gorge...info ou intox ?
Le lendemain, après une nuit à vomir mon Osso Bucco – mon estomac a visiblement du mal à encaisser les décalages alimentaires- je m’envole vers Madagascar. L’avion a de nombreuses heures de retard, le gouvernement ayant fermé tout l’espace aérien pour permettre à ses militaires de s’y entraîner. Je ne resterai qu’une petite semaine à Madagascar. Écourter le séjour est nécessaire si je veux arriver au Tibet avant que les neiges de l’Himalaya ne m’en empêchent.
De toutes facons, je vais à Mada avant tout pour revoir John Cool, le guide rasta avec qui Carlos et moi avions sympathisé... il y a 3 ans déjà. De la capitale Tana, je me rends sans attendre en taxi-brousse à Antsirabe où il vit désormais avec sa nouvelle femme et son petit bébé de 4 mois. On passera quelques jours ensemble au cours desquels j’irai souvent manger chez lui.
Ses progrès sont fulgurants ! Quand on l’a connu Carlos et moi, il se faisait exploiter pour quelques aryaris, et ne possédait rien d’autres qu’une petite valise dans laquelle se perdaient une paire de lunettes de soleil et 2 boubous. Trois ans plus tard, il n’a plus de dreadlocks mais a pris de serieux kilos... Il a toujours le GSM qu’on lui avait envoyé (Merci Ced ! !), ce qui lui a permis de s’installer à son compte et avoir ses propres clients. Il a aussi constitué son propre book avec des lettres de référence et ses contrats. Il a également son propre réseau d’intermédiaires.
Il ne dort plus à la rue mais loue un flat (qui se limite quand même à moins de 10 m² pour eux trois). Je le revois encore lisant maladroitement son bout de papier déchiré sur lequel était griffonnés 2-3 noms d’animaux. Aujourd’hui, il reconnaît et cite par cœur tous les oiseaux et lémuriens. Je suis réellement pleine d’admiration !!
Tout le plaisir de le retrouver sera néanmoins gâché par le fait qu’il passera les derniers moments avant que je ne parte à solliciter sans cesse de l’argent. J’avais préparé de quoi lui laisser en partant ; mais le zèle avec lequel il prend les devants me coupe les jambes. Je ne sais qu’en penser…
L’île de Mada quant à elle est toujours aussi enchanteresse, les paysages toujours aussi beaux, les vieilles Peugeot et Renault 4L moribondes (dont certaines encore avec le sigle Belgacom sur les vitres !) arpentent toujours péniblement les rues. Je ne me souvenais plus à quel point les gens étaient physiquement très asiatiques, ni de leur drôles d’accent.
A Antsirabe, tous les endroits que j’ai connu sont, 3 ans plus tard, toujours là, mais ont tous changé au moins une fois de propriétaire… John Cool m’explique que l’économie va au plus mal. Le travail se fait de plus en plus rare, les prix augmentent vertigineusement, les gens ont tous les jours plus de mal à se nourrir.
D’Antsirabe, je ne sais pas trop quoi faire, je ne dispose pas de beaucoup de jours, et je n’ai trouvé aucun guide touristique sur Mada. Comme dirait Xitito, partir sans Lonely Planet… ça c’est l’aventure !! ;-)
Je parviens finalement à emprunter pour 10 minutes le Guide du Routard d’un couple de français, et décide de partir pour Ambositra au sud, où paraît-il, on peut faire de belles ballades dans les montagnes. Sur les 5h de trajet on nous fait changer 3 fois de taxi-brousse sans raisons apparentes, et sans fournir d’explications. Dans le dernier d'entre eux, je me retrouve comprimée à côté d’un détraqué qui se met à me caresser la jambe et chatouiller le ventre, ... décidément ! Je lui jette d’abord des regards assassins, lui repousse les mains en me collant de plus en plus à la portière. Au bout d’un quart d’heure, ne pouvant plus m’éloigner davantage de lui, j’ai envie d’hurler. De rage je lui écrase mon poing sur la main; il me regarde avec un sourire niais et béat... Heureusement pour moi, on déposera ce désaxé quelques kilomètres plus loin. J’étais déjà en train d’élaborer un plan pour éviter qu’il ne puisse me suivre…
J’arrive à Ambositra sous la drache et la nuit déjà tombée. Le chauffeur est adorable et me dépose pile à l’entrée de ma guesthouse. Le soir je me sens patraque et ai du mal à manger. Je fonce tout droit dans ma chambre pour vomir… Ca durera trois jours et trois nuits durant lesquelles je perdrai quasiment la notion de temps. Comateuse, je ne reprends régulièrement conscience que pour aller soulager mon estomac. Lorsqu’enfin je trouve la force de m’habiller et me tirer du lit, on est dimanche, tout est fermé. Je me contenterai de bananes qu’un petit gosse vend en rue.
Je dois à tout prix reprendre le taxi brousse vers Tana d’où part bientôt mon avion. Cette fois, la fille à mes côtés a le mal du transport, elle vomit ses tripes tout le trajet dans un sachet plastique... et dans les tournants, sur mes chaussures : avec mes nausees persistantes, pile exactement ce qu’il me fallait ! !
Tana a un petit côté franchouillard vraiment sympa, ne serait-ce que dans la cuisine… on peut y déguster du foie gras ou des andouillettes ! Malgré mon état misérable, je visite la ville à pieds au hasard des chemins...car toujours sans guide. A chaque détour de rue, des petits kets en haillons vous supplient de leur donner de l’argent ou de la nourriture, des vendeurs à la sauvette s’obstinent à proposer leur marchandises aux touristes : calculatrices, parasols, lampes de bureau, vase, etc. Je me demande bien quel touriste repart avec un parasol dans sa valise… Mais de quoi survivent-ils donc? ?
Je prends l’avion le lendemain à 3h du matin et commence ma longue épopée vers le Népal : Tana- Maurice, Maurice- Delhi, Delhi- Kathmandu, entrecoupés de longues heures d’attentes dans les salles d’embarquements accueillantes, distrayantes et chaleureuses… Tu parles!!!
A l’aéroport de Maurice je rencontre le beau Juan, un surfeur espagnol victime d’overbooking par Air France. Il vit à Tarifa et exerce deux métiers, le premier consiste à tester le nouveau matériel de Kite Surf pour une grande marque, le second être photographe pour un magazine de Kite Surf, et donc voyager pour shooter sur les plus belles plages du monde… Y a plus désagréable !
On s’encourage mutuellement pour mieux s’accommoder des 18 heures d’attente sur les banquettes inhospitalières du Sir Seewoosagur Ramgoolam International Airport....
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