Oh my love, We pray each day.. May you come home, And be okay.
On parle de Corona, c’est tout ce qui occupe tout le monde,
mais pendant ce temps-là, Yahaya, tu sais ce que mon gouvernement vient
d‘inventer ? Il s’est torturé les neurones, et il a enfin trouvé une
nouvelle solution à la migration ! On l’attendait, on était fébrile :
Encore plus de places en centres fermés, plus de places en prison pour ceux
dont le seul délit est de ne pas avoir les bons papiers.
Je voudrais pouvoir t’expliquer, je voudrais pouvoir
m’excuser, je voudrais te crier, « c’est le temps de repartir essayer sans
te faire pourchasser », après ce sera trop tard, ils auront gagné, je
voudrais te dire que je vais arriver à vous protéger, mais tout ça, ça sert à
quoi ? C’est du vent.
Je lis les derniers articles sur leurs soi disant « bonnes
politiques fermes mais humaines », ça fait des années qu’ils nous servent leur même soupe, et je ne sais plus si je suis en colère, triste, révoltée,
prête à repartir me battre, essoufflée.
Toi ce qui t’intéresse c’est de savoir
si j’ai mis des grosses chaussettes parce qu’il fait froid dehors aujourd’hui.
Comment revenir à l’essentiel ? L’essentiel tu as
raison, c’est de savoir si j’ai mis des grosses chaussettes parce que c’est me
montrer que tu t’inquiètes pour moi, l’essentiel, c’est de te regarder avec un
grand sourire, te remercier, et me demander comment même tu as pu y penser à
ces grosses chaussettes ?
On n’est pas un couple pourtant. Je ne pourrai jamais
définir ce que tu es pour moi, comme je ne saurai jamais définir ce qui sont
tes frères et sœurs. En fait si, ce sont mes frères et sœurs, comme toi tu es
devenu mon frère.
Ce que ce nouvel accord veut dire pour toi, Yahaya, c’est
que ta vie en Europe sera encore plus merdique qu’avant. Comme si elle ne
l’était pas suffisamment.
Je voudrais pouvoir leur demander Yahaya, je voudrais savoir
s’ils vont dormir tranquilles ce soir. S’ils sont satisfaits d’eux-mêmes.
Moi je regarde Jawar, 2 ans peut-être qu’il est ici, si pas
plus. Qu’est-ce qu’il a vieilli. Quand il est arrivé à la maison, je lui aurais
donné 18-20 ans, maintenant je lui donne la bonne trentaine, si pas plus. Je ne
lui ai jamais demandé son âge à Jawar, mais je sais qu’on aura vieilli un bon
moment ensemble.
Jawar chaque fois que tu es parti de la maison, que tu m’as
dit, « je pars essayer », je t’ai tapé dans la main, je t’ai serré
dans mes bras, et je t’ai dit « good luck, call me tomorow from
London ».
J’en ai marre de cette phrase, si tu savais.
Au début j’y croyais vraiment, maintenant, je sais ce qui
t’attend.
Ce qui t’attend, c’est un train à prendre sans billet, c’est
un contrôleur qui a le pouvoir d’appeler la Police. C’est la Police qui a le
pouvoir de te mettre en centre fermé. Ce qui t’attend si tu y arrives, c’est
une, deux ou trois heures de marches jusqu’à ton parking là où sont les camions.
Une ou deux heures de marches sous la pluie ou le froid,
c’est long.
Ce qui t’attend sur place, ce sont les connards de passeurs.
C’est mon gouvernement qui leur a permis d’exister en verrouillant les
frontières. Je ne parlerai pas des bagarres, parfois au couteau, entre
communautés pour prendre le seul camion qui peut-être part vers l’UK.
Il va falloir vous cacher aux abords de l’autoroute. Il y
aura la sécurité ou la police avec des chiens qui vous traqueront comme des animaux. Il y aura
ceux qui s’échappent en se blessant, et qu’on soignera demain à l’hôpital. Il y
aura cette nuit où si tu es chanceux, tu te cacheras dans le seul camion qui
devrait partir. Fais attention à toi, un de nos frères y a déjà été tué écrasé
par ses palettes.
Quand tu auras réussi à t’y cacher dans le camion, attendant
toute la nuit qu’il parte vers l’UK, il y aura demain le « Good
Morning ». Ce "Good morning" plein de cynisme.
Si tu n’y réussis pas tu te cacheras dans les végétations
aux abords de l’autoroute
La Police si elle est sympa, te dira « Good
Morning », ou « allez dégage ». Tu descendras du camion ou tu
sortiras de ta végétation, tu feras le chemin inverse, et je vous attendrai
avec une boisson chaude demain matin à la maison en vous disant à tous « so
sorry ». On ne se dira pas grand-chose, je la connais votre déception, et vous,
vous avez tant besoin de dormir.
Ça, c’est si tu as finalement eu de la chance de ne pas te
faire attraper.
Il y aura tes autres amis à qui j’ai dit « Good
luck » aussi hier soir. Je leur ai dit, et puis plus rien, ils manqueront au thé du matin.
Au début on s’inquiète plus
trop, on a l’habitude, le camion les a peut-être perdu loin, mais ils savent
comment revenir. On les appelle, mais leurs téléphones sont éteints. Après on
se demande pourquoi ils n’ont pas encore donné de nouvelles. Après on se dit
que le temps est long, merde, va falloir que je te retrouve, comment tu
t’appelles vraiment, par où commencer ? Moi j’ai pas gardé tout ce que tu
aurais pu avoir comme papiers qui pouvait me donner des pistes sur ton identité
en arrivant. Je vais devoir appeler tes autres familles, elles seront dans le même
désarroi.
Comment tu t’appelles, surtout quel nom tu as donné à la
Police ? C’est tout ce qui me fera te retrouver. Je sors mon répertoires
des centres fermés en Belgique, je vais les appeler un à un. Je vais devoir te
retrouver. Biniam, ça s’écrit aussi Byniam, ça s’écrit aussi Baniam selon ce
que le flic qui a pris ta déposition dans une langue que tu ne comprends pas aura
entendu.
Je le saurai plus tard, on t’a appelé Namiam. Certains ont eu la
chance d’avoir le temps de m’appeler du poste de flics où on les gardera 24
heures avant d’aller les enfermer, et de me dirent « we go closed center,
jail ». Oui mais où ? Je les connais déjà les centres fermés, les
prisons qui accepteront de me répondre, je sais ceux qui me raccrocheront au
nez.
Biniam, je sais qu’en y entrant, on t’a déjà tout enlevé, à
commencer par ton téléphone qui t’aurait permis de m’appeler, ta réelle
identité aussi.
Comment il va falloir que je me démerde moi ? Je les
appelle les centres fermés : Bbb, bon Pp peut-être, Naa. Des éthiopiens,
on les a arrêtés hier, je le sais, leurs amis nous on dit. Oui ! Ils sont
arrivés ? Si la dame est gentille, elle aura eu la patience d’épeler tous
les noms possibles avec moi et on t’aura retrouvé. Si pas, tu aurais été perdu
à tout jamais.
Maintenant, le plus urgent pour nous les citoyens
solidaires, c’est de te trouver un avocat. La plupart du temps, les centres
fermés feront tout ce qu’ils veulent faire en s’en foutant pas mal du droit. Les
assistants sociaux, même si certains d’entre eux sont vraiment humais, te
diront, en dépit du bon sens de ne pas prendre d’avocat. Tu vas soi-disant y rester
plus longtemps. N’oublie pas que leur but ultime c’est de t’expulser. Ce sont des
machines à punition et expulsion.
Il va falloir que je te trouve un nouveau téléphone sans
internet et caméra qui sont interdits là où tu te trouves. La grosse majorité
de temps, ce seront d’autres citoyens solidaires que me le donneront. Pour toi.
Parce qu’on est des centaines sans doute à penser à toi. On est des centaines à
s’écœurer ou parfois ne plus même pouvoir.
Ce téléphone, il restera notre lien.
Bien sûr, je peux venir
te voir, avec des horaires de train impossibles, entre 13.30 et 14.30, en m’enregistrant
la veille et arriver 30 minutes plus tôt pour qu’on me fouille. Les médicaments
dont tu avais besoin et que je t’avais apporté de la maison, ils ont été
confisqués.
Le plus difficile pour toi ce sera de te demander ce que tu
fais dans cette prison et combien de temps tu y resteras. Le plus dur sera l’angoisse
de te faire expulser.
Le plus dur pour moi, ce sera de me demander ce que tu fais
dans cette prison et combien de temps tu y resteras. Le plus difficile sera d’essayer
d’éviter que tu te fasses expulser.